Le Prince Que Voilà
terrifiait, abandonnant sa chambre
pour venir me retrouver en la mienne, ce qui ne laissait pas de me
désommeiller, la sentant si proche, et d’autant que les nuits en Boulogne étant
froidureuses, elle ne faillait pas à se serrer à moi pour se réchauffer.
Huit jours ainsi dans l’attente
passèrent qui se fondirent, l’un après l’autre, en huit nuits qui me furent
tant douces qu’incommodes (tiré à hue et à dia que j’étais par mes désirs
contraires) tant est qu’à l’aube du neuvième, le capitaine Le Pierre me vint
réveiller avec un morion et un corselet, qu’il me pria d’endosser pour ce qu’il
me voulait présent sur le rempart, le prévôt Vétus n’étant, d’après ses
coureurs, qu’à deux lieues de la ville.
Je m’y portai et vis de ces yeux que
voilà le prévôt arriver avec sa forte escorte auquel un sergent, du haut du
châtelet d’entrée, fit signe de se présenter à la porte Est où une belle
contrembûche lui était dressée. Car à peine le traître et ses cinquante hommes
eurent franchi le seuil, criant déjà : « ville gagnée, ville
prise ! » que sans toutefois relever le pont-levis, on laissa
retomber la herse derrière eux, et une bonne centaine d’arquebusiers surgissant
de tous côtés qui s’étaient jusque-là tenus cachés les mirent en joue, la mèche
allumée. Sur quoi, le capitaine Le Pierre cria à ces coquins de mettre bas les
armes, faute de quoi, ils seraient hachés.
Ils obéirent, et les démontant, on les
mena rondement au cachot, quinauds, penauds et fort moqués du petit peuple qui
les vit à travers rues passer. Après quoi, la herse fut relevée, pour donner
l’apparence d’une porte ouverte et quasi livrée à qui la voudrait prendre. Il
n’y eut pas long à attendre. Le chevaucheur du capitaine Le Pierre advenant à
brides avalées nous avisa que le Duc d’Aumale approchait avec deux cents
cavaliers et trois cents gens de pied.
— Ha ! dit Le Pierre, qui
se tenait à ma dextre, deux cents cavaliers, c’est prou ! J’en ai disposé
soixante dans le petit bois que vous voyez là à droite et enterré devant une
bonne centaine d’arquebusiers. Quant aux canons, j’ai mis mon gros sur le
rempart Est. Je m’en vais donc bien les moudre, mais je n’ai pas de cavalerie
assez pour leur courre sus et capturer le Duc félon, comme j’eusse aimé le
faire, pour le livrer à Sa Majesté !
Et cependant, il y faillit de très
peu, car les gens de pied du Duc d’Aumale, lesquels se voyaient déjà mettre la
ville au sac, forcer qui filles, qui femmes et faire une immense picorée, et
qui, joyeusement, accouraient au carnage, en huchant à oreilles étourdies, se
firent tout soudain impiteusement tailler et par les arquebusiers de delà,
enterrés dans le petit bois, et par les arquebusiers de deçà, et par le canon.
Après quoi, la cavalerie de Le Pierre, sortant du couvert des arbres, galopa
droit au Duc et l’enveloppa, mais étant trop peu nombreuse ne put empêcher que
le gros de ses cavaliers ne le dégageât et se mît avec lui ignominieusement à
la fuite, leurs gens de pied, de leur côté, s’ensauvant à vaudéroute et
refluant aussi vite qu’ils avaient afflué.
Lecteur, tu peux bien penser quelle
liesse, quelles acclamations et quel vin s’épandirent après ce beau
coup-là ! Et quels contes infinis en firent les soldats ! Alors même
que tant de mitraille précipitamment tirée ne fit que peu de mal aux troupes du
Duc, ne tuant et navrant, la Dieu merci, qu’une vingtaine de ces pauvres
hommes, lesquels n’étaient hélas que des Français comme nous, mais abusés par
Guise et la prétendue Sainte Ligue, qui les mettaient au service du Roi
d’Espagne, sans même qu’ils le sussent.
Mais si l’engagement fut bref et peu
meurtrier, les dispositions de combat que le capitaine Le Pierre avait prises
me parurent si judicieuses, et sa résolution si inébranlable que je lui jurai
que j’en ferais au Roi un récit où il apparaîtrait tant à son avantage qu’il y
gagnerait à jamais la faveur de Sa Majesté. Et carousant avec lui ce soir-là en
son logis en l’aimable compagnie de son épouse, laquelle se nommait Henriette,
et de la prétendue mienne, il me porta une tostée, buvant de prime une bonne
gorgée en le gobelet, puis Alizon, puis Henriette, et moi enfin, buvant le
reste et mangeant la croûte au fond. Sur quoi, je portai à lui une tostée, et
il en porta une à Alizon, et moi à Dame
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