Le Prince Que Voilà
encore, je le crains, par quoi je
tâchai de curer ma souffrante conscience, laquelle, toutefois, me chercha moins
querelle quand je l’eus assurée, reprenant en mon for le serment d’Alizon, que
je ne pécherais, pour ainsi parler, qu’entre parenthèses et seulement de
Boulogne en Paris, ma fidélité reprenant là où je l’avais laissée…
Ayant écrit les pages que l’on vient
de lire sur cette affaire de Boulogne, et y faisant quelque allusion devant mon
cher et immutable ami, Pierre de l’Étoile, sa curiosité qui, en tous temps, fut
extrêmement vive, s’éveilla, et il me demanda à les lire. Requête qui ne fut
pas sans m’embarrasser, sachant qu’étant si roide moraliste, il ne laisserait
pas de tordre le nez sur les faiblesses que je viens de confesser, lequel mot
faiblesse est lui-même hypocrite, et me ramentoit ce que dit si bien Montaigne
en ses Essais : « Nous fardons la volupté d’épithètes et qualités
maladives et douloureuses : langueur, mollesse, faiblesse, défaillance,
morbidezza. »
L’Étoile, cependant, sans me piper
mot ni miette de mes « langueurs, mollesses et défaillances »,
me fit, me rendant ces pages, une réflexion qui quelque peu me piqua, à savoir
que les années écoulées depuis cette affaire de Boulogne avaient quelque peu
brouillé mes souvenirs, pour ce qu’il cuidait, quant à lui, qu’elle avait eu
lieu quelques mois après le temps où je l’avais située. Cette remarque
m’étonnant, je le priai de rechercher avec moi dans le journal qu’il avait tenu
quasi jour après jour en ces années troublées, s’il y était fait mention de cet
attentement de la Ligue contre Boulogne. Nous n’en trouvâmes aucune. Mais
poursuivant notre lecture plus avant, nous encontrâmes en revanche, à la date
du 20 mars 1587, un passage concernant non point Boulogne mais la triste
ultérieure fortune du capitaine Le Pierre qui l’avait si loyalement défendue et
gardée à son Roi.
Je copie cette page, le cœur serré,
tant m’indigne encore après tant d’années, le lâche assassinement de ce
malheureux : « En ce temps-là, le Duc d’Aumale fit tuer le capitaine
Le Pierre, fort brave soldat, pour ce qu’il avait empêché, étant dedans
Boulogne, l’emprise que ledit Duc d’Aumale et ceux de la Ligue y avaient
dressée pour s’en emparer, dont le Roi fut fort mal content et toutefois
dissimulant le mal latent qu’il en avait, fit semblant de croire ce que le Duc
d’Aumale et la Ligue lui en donnèrent à entendre, à savoir que c’était une
querelle qu’il avait, encore que le Roi fût bien informé du contraire et qu’on
l’avait attaqué d’une querelle d’allemand, et fait mourir pour le bon service
qu’il lui avait fait. Sa Majesté commanda au Duc d’Épernon, qui ne pouvait s’en
contenter, et était prêt d’en venir aux mains avec le Duc d’Aumale, si le Roi
lui eût voulu permettre, de n’en faire davantage d’instances, mais d’attendre
le temps qui leur ferait raison de toutes ces ligueuses bravades. »
Belle lectrice qui peut-être, à lire
ceci, avez la larme au bord du cil, tant l’injustice de ce destin vous émeut,
il faut, hélas, que vous vous accommodiez, du mieux que votre doux cœur le
peut, à cette malenconique vérité : Ce récit n’est point un conte où les
méchants sont punis et les bons, récompensés. C’est même tout le rebours,
touchant Boulogne, car oyez bien ceci qui porte à son comble l’iniquité du
dénouement : Le prévôt Vétus, je dis bien Vétus, traître à son Roi, lequel
le capitaine Le Pierre avait serré en geôle en Boulogne, fut libéré quatre mois
et demi plus tard, étant de ces prisonniers que le Roi et le Duc de Guise
furent convenus de contréchanger à la suite du traité de Nemours, par lequel Sa
Majesté feignait de se réconcilier avec son puissant vassal et en apparence du
moins, lui livrait tout. Au sortir de prison, ledit Vétus eut l’extrême
impudence de revenir en Paris. Je l’appris et quérant de Nicolas Poulain ce
qu’il advint alors de lui, celui-ci se filant de la dextre sa fauve et hérissée
moustache, me dit avec un sourire renardier :
— Il fut bien reçu et caressé
de tous ceux de la Sainte Ligue, laquelle me commanda de le mener par les
meilleures maisons.
— À toi, Maître Mouche !
toi, qui l’avais dénoncé au Roi !
— À moi précisément. Ce que je
ne laissai pas de trouver fort piquant, dit Mosca
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