Le Prince Que Voilà
aussi !
Et le prenant aux épaules, je le poussai
quasiment hors du petit cabinet, dans lequel je m’enfermai et me verrouillai,
closant aussi mon fenestrou, avant que d’oser, tirant de mon pourpoint le
brouillon d’Henri de Guise à Philippe II d’Espagne, le lire. Le voici mot
pour mot :
« Les difficultés et les
fatigues devant lesquelles Votre Majesté n’a point reculé pour le service du
Seigneur notre Dieu, dans toutes les terres de son obéissance, témoignent assez
de la piété et du zèle qui ont fait faire de si heureux progrès à ses royales
entreprises. Le secours que nous avons reçu des mains libérales de Votre
Majesté, est une nouvelle preuve de cette piété et de ce zèle. Je ne peux
m’empêcher de remercier très respectueusement Votre Majesté pour toutes les
obligeances que j’ai contractées envers elle. Ces obligations sont pour moi un
lien de plus, et je me trouve aujourd’hui plus étroitement engagé que jamais à
exécuter les ordres de Votre Majesté avec mon dévouement ordinaire.
« J’ai déjà prévenu Votre
Majesté par ses ambassadeurs et ses ministres de l’heureux commencement que
Dieu nous avait fait la grâce de donner à nos affaires. Nous sommes fermement
résolus de les pousser en avant avec toute l’ardeur qu’exige une pareille
entreprise : Je puis dire en toute vérité que rien ne sera négligé de notre
part pour pousser le Roi dans une guerre irréconciliable contre les
hérétiques…»
Le brouillon s’arrêtait là, mais ce
qu’il avouait était damnable assez pour flétrir l’honneur d’un Prince lorrain
qui se voulait Français sans faire vergogne aucune de recevoir pécunes d’un
souverain étranger, et de se mettre à ses ordres.
Je fus sage assez, tout bouillant
que je fusse, pour espérer le lendemain, et mon heure habituelle pour voir le
Roi, et lui chuchotai alors, sous prétexte de lui prendre le pouls, que j’avais
choses de grande conséquence à lui impartir, et qu’il voulût bien, pour ce
faire, me recevoir en son privé. Ce à quoi il consentit quasi incontinent,
devant faire de prime ses oraisons en sa chapelle, sans me faire attendre plus
d’un petit quart d’heure en sa chambre avec Du Halde et Chicot, lequel me dit,
la goutte au nez :
— La Saignée (il m’appelait
ainsi parce qu’il savait que je répugnais fort à cette médication), tu vas
trouver Henri en sa plus charmante liesse, ayant engagé avec sa coutumière subtilesse
une partie de qui perd gagne avec les huguenots, menant contre eux la guerre si
mollement qu’il ne peut les vaincre – déconfiture qui baillerait trop de
confiture au Guise – et signant même en le midi une trêve d’un an avec
Navarre, lequel, de son côtel, ne fait rien pour mettre le cotel sur la gorge
du Roi…
Lui prenant le pouls, j’avais à
peine vu Henri dans la pénombre de ses custodes tirées, mais à l’envisager au
grand jour de sa chambre, comme il saillait de sa chapelle, je lui trouvai la
mine allante, l’œil allègre, la face ni grise ni chiffonnée, et fraîche, la
main qu’il me présenta : preuve que dans la longue et souterraine lutte
engagée contre le Guise, il avait le sentiment de reprendre quelque peu du fil
qu’il lui avait dû lâcher lors du sinistre traité de Nemours.
— Siorac, mon enfant, dit-il
quasi joyeusement, en me désignant une escabelle à la dextre de son fauteuil,
assieds-toi, je te prie, et dis-moi ton affaire. Je n’ai jamais temps perdu à
t’ouïr.
Je lui fis donc le conte de mes matines
chez la Montpensier, sans rien omettre d’autre que les paroles sales et
fâcheuses de cette furie sur le bûcher promis aux bougres, mais réservant
toutefois pour la bonne bouche le brouillon du Guise que je m’apensais bien que
le Roi serait ravi de tenir en sa possession comme preuve irréfutable –
étant écrit de sa propre main – de la félonie du Duc.
Mon récit ébaudit grandement Sa
Majesté, sauf cependant qu’il sourcilla quelque peu à ouïr que la Montpensier
avait une oreille à la traîne chez son argentier, puisqu’elle savait que
celui-ci ne m’avait pas pécunes versé à mon retour en Paris.
— Sire, dit l’austère Du Halde,
que ne dites-vous au trésorier de désoccuper tous ses commis et d’en embaucher
de nouveaux ?
— Nenni, nenni ! dit le
Roi. Cela m’abhorre de frapper tant d’innocents pour punir un coupable. J’y
pourvoirai autrement. Poursuis, Siorac.
Je poursuivis
Weitere Kostenlose Bücher