Le Prince Que Voilà
et quand j’en vins au
chapitre de mes abdominales palpations et de leur grotesque suite, le Roi mit
sa main devant sa bouche et s’esbouffa comme bachelette, Du Halde et Chicot
riant du bon du cœur, et de mon prédicament, et de voir le Roi tant joyeux.
— Ha, Siorac, s’écria le Roi,
la larme quasi à la paupière tant il gaussait, que tu es donc
divertissant !
— Divertissant ? dit
Chicot, mais de nous divergeant, étant baptisé Guisard sur les fonts de la
Boiteuse !
— Accusation, criai-je, sans
fondement aucun !
— Ha ! dit le Roi en riant
de plus belle, laissons là ce fondement, lequel cloche déjà, étant soutenu par
deux inégales colonnes.
— Nenni ! Nenni !
cria Chicot entre deux hoquets de rire (le grave Du Halde ne souriant cette
fois que de la moitié du bec à ses indécences). La Saignée est baptisé Guisard,
je n’en démordrai pas ! Et en outre, en grand danger d’être infecté
d’hydrophobie, ayant été mordu en ses parties vitales par les charnelles
mâchoires de l’Enragée !
À cette gausserie on se gaudit et
s’éjouit de plus belle, et secoués que nous fûmes (sauf Du Halde) par une
tempête telle, et si grande, et de gorges chaudes, et de tripes secouées, et
quasiment de larmes à l’œil, que j’attendis que nous fussions tous trois
aquiétés, et la bonace revenue, pour dire d’un ton grave assez, mais cependant
modeste :
— Sire, il y a un épilogue à
cette tumultueuse farce, et il me paraît de quelque conséquence.
À quoi, le Roi m’envisageant de son
bel œil noir fort attentivement, je lui contai par le menu et l’archi-menu la
roberie du brouillon. Après quoi, sortant la lettre de mon pourpoint, je la lui
remis, un genou à terre.
Sa Majesté s’en saisit, et se levant
avec vivacité, la lut en marchant qui-cy qui-là dans la chambre.
— Siorac, dit-il enfin avec un
sourire, encore que ce soit péché de rober quoi que ce soit à quiconque, je
t’absous de ce crime de tout cœur, en considération du bien que tu as fait à
l’État en le commettant. Je savais la pluie d’or dont Philippe rafraîchissait
le Guise, mais grâce à toi, j’en ai la preuve ! Car c’est bien son
écriture. Mon cousin le Duc lorrain est si peu assuré de son français qu’il se
voit contraint de faire un brouillon, avant que de dicter une lettre de quelque
conséquence à ses secrétaires. Et maugré ce brouillon, observe, Siorac, observe
comme le style en faillit. Le Duc remercie Philippe de « toutes les
obligeances » qu’il a contractées envers lui. Et plus loin, il écrit
« ces obligations sont pour moi un lien de plus. » Guise ne
sent pas la différence entre « obligeances » et « obligations ».
Il les prend pour synonymes. De même, il écrit : « Je ne puis
m’empêcher de remercier très respectueusement Votre Majesté…» Ce « Je
ne puis m’empêcher » est fort gauche. On dirait qu’une force pousse
Guise, quoi qu’il en ait, à remercier Philippe de ses clicailles !
— Et qu’eût-il fallu
dire ? dit Du Halde, étonné que le Roi nous donnât, en ces occasions, une
leçon ès langue française.
— « Je m’empresse », dit le Roi avec un sourire, « Je m’empresse de
remercier très respectueusement Votre Majesté », l’empressement –
sans retenue ni réticence – étant le seul sentiment qu’un sujet puisse
nourrir à l’égard de son souverain, puisque aussi bien son souverain, c’est,
semble-t-il, Philippe et non pas moi. Exemple encore de ce style relâché :
« Piété » et « zèle » répétés deux fois en quatre lignes.
Méchant style, Siorac, méchant homme ! et le fond le confirme. De quoi
est-il question dans cette lettre ? D’intérêts. Et de quoi
parle-t-on ? De « Dieu », de « piété », de
« zèle » et de « grâce » ! Un chattemite écrivant à un
autre chattemite, la plume trempée dans le bénitier ! Guise et Philippe
mettent le Seigneur à toutes les sauces de leur basse cuisine, et de sauces.
Dieu sait s’ils en tournent ! Et s’ils en gâtent ! Quand Philippe
conquit le Portugal, il fit massacrer deux mille moines qui n’avaient que le
tort d’aimer leur pays et de le vouloir contre lui défendre. Voilà le « service
de Dieu » auquel Sa Majesté très catholique met tant de « piété »
et de « zèle » dans ses « royales entreprises ».
— Henri, dit Chicot en riant,
je suis béant. Parler
Weitere Kostenlose Bücher