Le Prince Que Voilà
voir tirer les marrons du feu, non pour notre
propre maison, mais pour la sienne, appétant à mettre sur le trône de France
(Henri en étant ôté) la fille qu’il a eue avec Elizabeth de Valois.
— Sa Majesté très catholique,
dis-je, fait bon marché de la Loi salique.
— Mais patience !
dit-elle, son œil bleu envisageant le vide et sa face devenant tout soudain
songearde, comme si elle voyait déjà son frère assis sur le trône de France, et
elle-même sur les degrés. Ainsi, reprit-elle l’air un peu vague, comme si elle
se désommeillait à peine de ce rêve suave, vous ne voulez pas être à moi ?
C’est pitié, en mon opinion, qu’un aussi galant gentilhomme s’obstine à servir
ce bougre de Roi, à moins que vous ne soyez bougre aussi !
— Madame, dis-je avec un
sourire, si vous deviez propager cette nouvelle-là dans vos petits papiers à
vos prêchereaux, il n’est pas une personne à la Cour qui vous croirait.
— Hé ! Je n’y songe
point ! dit-elle en haussant l’épaule. À part vous faire tuer, que
ferais-je de vous ? Vous êtes grain trop menu pour être moulu en nos
royales meules.
— Madame la Duchesse, dis-je
quelque peu piqué, je ne suis pas si fretin ! Le Duc d’Épernon me doit la
vie.
— Par la male heure ! dit-elle.
— Et si j’avais eu l’âge de le
soigner, qui sait si je n’eusse pas curé votre illustre père de son
arquebusade, laquelle n’avait touché que le creux de l’épaule !
— Monsieur, dit-elle, il me
semble que vous vous paonnez prou de votre savoir. À Dieu plaise que vous
puissiez conforter ma digestion, laquelle, ajouta-t-elle en se découvrant tout
à fait, me durcit, tord et ballonne le ventre fort incommodément.
Ayant dit, elle me saisit la dextre
et la posa dessus. Sur quoi des deux mains la palpant qui-cy qui-là de
l’épigastre au pubis, je lui dis :
— Madame, si vous ne suciez et
mâchelliez tout le jour tant de drageries, vous ne seriez pas mise à ces
petites incommodités. Un jour de diète et quelques tisanes viendraient à bout
de vos obstructions.
— Ha Monsieur ! dit-elle,
que chaudes et douces sont vos mains ! Et quel bien immense me font vos
habiles et miraculées palpations ! Poursuivez-les, je vous prie. Je me
sens fondre là où je n’étais que nœuds, et me desserre où je me sentais close.
— Madame la Duchesse, dis-je,
je suis bien aise de vous aiser un petit.
— Un petit, Monsieur !
Vous y allez si dextrement que vous m’ouvrez comme une fleur au soleil.
Laissez-moi vous guider la main ! Le remède en sera meilleur !
— Madame, dis-je, si ma main va
le chemin que vous voulez ce ne sera plus une curation, mais une mignonnerie,
laquelle n’est qu’un prologue à une pièce qui n’a plus rien de médical.
— Et, Monsieur, pourquoi tant
languir ? Jouons la pièce, si vous y avez autant d’appétit que
moi-même !
— Assurément, mais
laisserez-vous un fretin vous fretin-fretailler ? Ne suis-je pas grain
trop menu pour vous ?
— Monsieur, c’est à moi de
savoir jusqu’où mon rang accepte de descendre. Et allez-vous arguer plus outre
que vous êtes fidèle à Madame votre épouse, quand je sais de votre bouche que
vous coqueliquez ailleurs ?
Lecteur, j’étais pris. Outre qu’il
paraissait peu galant de rebuter une haute dame, qui, oubliant sa hautesse,
ardait si fort à être contentée, pouvais-je prendre cette furie au rebours de
son estomac sans l’offenser à mort, et surtout sans la remettre en quelque
soupçon de la prétendue escapade par quoi j’avais déguisé mon rollet en
Boulogne. Je laissai donc faire à mon corps ce qu’il voulut, et ce vil animal
qui, au défi de toute loi et humaine décence, ne demande jamais tant rien (pour
parler à la soldate) que marcher au canon, y marcha tout de gob que je le lui
eus permis.
— Mon bon ami, dit la
Montpensier en soupirant d’aise dès que je fus en place, voilà qui est bien,
mais donnez-vous garde de bouger : c’est moi qui donne le branle. Perdurez
roidement. C’est tout ce que je quiers de vous.
Ordre dont je fus marri, n’aimant
guère que la duchesse, à moi aussi, me commandât mon prêche, mais entendant
qu’elle était de ces femmes impérieuses qui ne veulent tenir leur plaisir que
de soi, et y mettent un temps infini, je me résignais à me tenir vaillamment au
garde-à-vous le temps qu’il y faudrait, quitte à enfreindre à la dérobée sa loi
quand mon inactivité
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