Le Prince Que Voilà
dis-je
pliablement (tout convaincu que je fusse qu’il s’était trantolé à cœur content
sur le parisien pavé, n’aimant rien tant que le spectacle de la rue) il a fallu
que je sois distrait, nageant dans un océan de soucis…
— Dont vous ne me dites pas le
quart, dit Miroul aigrement, tant vous doutez de moi !
— Tu te gausses, Miroul !
criai-je, j’ai en toi la plus entière confidence ! Mais ce sont des
secrets qui, à les ouïr, te mettraient en de fort grands périls !
— Raison de plus, dit Miroul,
pour que je partage ces dangers avec vous, comme je fis toujours, ces vingt ans
écoulés, vous donnant avis et secours dont vous vous trouvâtes bien !
— Mais, dis-je, ces secrets ne
m’appartiennent point !
— Moussu, dit Miroul en se
levant et l’air fort chagrin, c’est vous qui vous gaussez de moi ! Ces
secrets sont à vous, puisque vous les connaissez ! Vous m’amusez de
fausses raisons pour ce que vous n’avez plus tant fiance en moi que vous aviez
quand vous n’étiez pas si haut à la Cour ni si proche du Roi ! Ha, Moussu,
c’en est trop, je ne le souffrirai pas ! Pour le coup, je vous
quitte ! Primo, me suspicionnant de muser, vous me faites un museau à
geler musaraigne ! (même encoléré, mon Miroul était raffolé, comme le Roi,
comme Chicot, des giochi di parole, lesquels, à dire le vrai, sont la
fureur et folie de ce siècle). Secundo : c’est pis ! Vous en venez à
me faire des cachottes ! Passe que vous taisiez d’aucuns secrets à
Mademoiselle Angelina, lesquels ne sont point faits pour femme et
l’empérileraient. Mais moi, Moussu, moi ! Qui suis quasi votre ombre ces
vingt ans écoulés !
À quoi allant à lui, je le pris aux
épaules, et le faisant lever de son escabelle, je lui donnai une forte brassée.
— Ha, mon Miroul, dis-je, tu
n’es pas ombre, mais lumière, pour ce que tu as souvent éclairé mon chemin de
tes sages avis.
— Lesquels vous ne suivez
pas !
— Lesquels sont sages, quand
même je ne les suis pas toujours. Ha Miroul, ne me quitte point ! Que
ferais-je sans toi en les traverses et tracas dont je suis assailli ?
poursuivis-je, contrefeignant une alarme que je n’éprouvais qu’à demi, sachant
bien qu’il n’allait pas de mon logis départir, étant de moi si affectionné, et
moi de lui. Mon Miroul, repris-je encore, qui, à part Madame mon épouse, est
plus haut que toi, et de moi le plus proche en ce logis ? Outre mon
secrétaire et majordome, n’es-tu pas mon ami et quasiment mon frère ?
— Éhontée captatio
benevolentiae ! dit Miroul, mais cependant d’un ton plus doux et comme
aquiété. Qu’est-ce qu’un frère à qui on cèle tant de choses ?
— Eh bien, dis-je, je vais
rêver cette nuit à celles que je pourrais demain te confier, sans pour autant
promettre de te dire tout. Es-tu content, Miroul ?
— À proportion de votre
confiance. Et Moussu, ne voulez-vous pas connaître le gardien que je vous ai
trouvé pour l’Aiguillerie ?
— Oui-dà !
— Mérigot.
— Quoi ? Mon
arquebuseur ?
— Ipse [46] Moussu, tant il vous aime pour avoir sauvé son col de la hart qu’il vous sera
dévoué jusque dans les dents de la mort.
— Mais quittera-t-il pour moi
son état de marinier ?
— Et d’autant que cet état l’a
quitté, l’homme ayant chu du mât de son bateau et cassé sa gambe senestre,
laquelle mal remise, le fait cloper. Le voilà donc désoccupé.
— Que veut-il ?
— L’or du Pérou : cinq
écus le mois pour subsister, lui et sa garce, et deux arquebuses, sa garce
chargeant l’une, tandis qu’il décharge l’autre.
— Cinq écus, dis-je en riant,
c’est prou ! Ha, Miroul, me devais-tu tant tabuster pour un malheureux
petit prou ! C’était bien peu que ce prou-là !
On toqua à l’huis, et sur mon
« Entrez », Angelina apparut, fort gracieuse en sa longue et
flottante robe de nuit qui la faisait plus grande, le pied mignon en sa mule
blanche passant à peine l’ourlet du bas, son flot de cheveux blonds, dénoués
sur ses épaules rondies, et son doux œil de biche m’envisageant avec sa candeur
coutumière.
— Monsieur mon mari, dit-elle,
que faites-vous donc céans à tant désommeiller ? Si vos affaires sont
finies, plaise à vous de ne pas délayer plus avant. Votre coite s’ennuie.
CHAPITRE IX
Comme le Roi me l’avait annoncé,
Quéribus me vint voir le lendemain aux matines, non point à cheval, mais en
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