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Le Prince Que Voilà

Le Prince Que Voilà

Titel: Le Prince Que Voilà Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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habitude
invétérée de fuir les extrêmes. Et à la parfin, craignant qu’il ne se
ressouvînt de mon indifférence, je lui donnai matière plus propre à remembrance
en le graissant, au départir, de quelques écus, sachant qu’il était engagé à
refaire la toiture de sa cure, celle de la sacristie étant lors achevée.
     
     
    J’avais connu Anne de Joyeuse en
Montpellier quand il atteignait à peine ses cinq ans et qu’il était assurément
le plus joli petit drole de la création, étant tout lys et rose, le cheveu doré,
l’œil bleu et des manières si câlinantes, si ouvertes et si affectionnées qu’on
ne pouvait jeter l’œil sur lui sans en être tout de gob raffolé. Son père, le
vicomte de Joyeuse, étant gouverneur en Montpellier, la première fois que je le
vis, ce fut debout à ses côtés, tandis que le vicomte mangeait ses
viandes – raffinement alors inouï – avec une de ces petites fourches,
réduction en tout petit de celle dont l’usance est de manier le foin et que
depuis, à la Cour, où Henri III l’a introduite (au grand scandale des
dévots), on a appelée fourchette.
    Anne, dont l’image s’est alors
imprimée en couleurs si vives et si charmantes en ma remembrance, avait une
taille qui permettait à sa jolie tête blonde de dépasser la table où son père
était assis, mais pas de prou. Il était vêtu de pied en cap de soie bleu pâle,
sans toutefois porter de fraise, mais un grand col rabattu qui montrait une
gorge douce et mollette. Il paraissait vif, fétot, espiègle, rieur, cependant
fort bien maniéré déjà, et regardait tantôt son père avec une amour des plus
touchantes, tantôt avec friandise le couvert de vermeil, sur lequel M. de
Joyeuse découpait ses viandes et quand, parmi celles-là il découvrait un
morceau qui lui agréait, il le désignait de son petit doigt rose et disait d’une
voix charmante, tant claire et musicale que le pépiement d’un oiseau :
    — Peux-je, Monsieur mon
père ?
    À quoi M. de Joyeuse, après avoir
souri, répondait fort civilement :
    — Vous pouvez, Anne.
    Dans la suite, je vis le petit Anne
fort souvent, pour ce que j’avais pour lui fait tailler par Espoumel des petits
soldats de bois, les uns français, les autres anglais, avec lesquels je lui
enseignais, par le moyen de fortifications façonnées elles aussi tout exprès,
le siège de Calais que je connaissais bien, mon père y ayant glorieusement pris
part sous le père du Duc de Guise. Et lui laissant la baguette, par laquelle il
engageait ou dégageait ses soldats, dans la brèche que nos canons avaient
pratiquée dans les remparts, je me désespérais de le voir recommencer les mêmes
fautes, épuisant d’un coup ses réserves, ne point garder ses arrières,
aventurer trop en avant son stratège.
    J’eus l’occasion de le revoir à la
Cour quand, à dix-huit ans, il conquit les affections du Roi. Il était, à cet
âge, si émerveillablement beau qu’un poète eût pu le comparer à une fleur, sans
faire sourire personne. Mais l’émerveillement avait ceci de particulier qu’il
commençait par Anne lui-même, étant de soi si énamouré et si enivré que la
raison perdant toute emprise sur lui, il se laissait aller à tous les caprices
de ses changeantes humeurs.
    Tous ces défauts – qui
exaspéraient le Roi au point que parfois il allait jusqu’à battre son
archimignon – composaient néanmoins l’essence de son charme, lequel était
fait, comme celui des enfants, de son inaccessibilité, de son inconscience, de
sa légèreté.
    De cette légèreté il donna des
preuves à frapper de béance le plus phlegmatique. Comblé par Henri de faveurs,
de titres, de terres, de châteaux et d’une immense fortune, marié par lui à une
Princesse fort au-dessus de son rang, il s’aboucha secrètement avec le Duc de
Guise et se fit ligueux dans l’espoir de conserver et d’accroître, Henri mort,
ses exorbitants privilèges. Après quoi, il se sentit excessivement malheureux
quand le Roi se refroidit pour lui et quand son cadet, le Comte du Bouchage,
s’enferma dans un couvent pour non pas avoir à choisir entre le Roi et lui.
    Le pauvre petit Joyeuse avait la
tête si légère qu’il eût voulu tout à la fois trahir Henri et conserver son
amour ; massacrer les prisonniers désarmés de La Motte-Saint-Eloi et
cependant qu’on le tînt toujours pour un chef humain ; faire célébrer ce
massacre par les prêchereaux de la capitale et demeurer

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