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Le Prince Que Voilà

Le Prince Que Voilà

Titel: Le Prince Que Voilà Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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en estime d’un Roi qui
abhorrait, et les massacres, et les prêchereaux.
    On disait
« l’archimignon ». On eût dû dire l’archigâté, car sa folle
inconscience perdit le premier combat important qu’il livra, et quand, sur le
champ de bataille, il cria : « Il y a dix mille écus à
gagner ! », son cri n’eut d’autre résultat que d’attirer la balle
d’un pistolet, laquelle, moins légère que n’était sa cervelle, jugea que la
vengeance de La Motte-Saint-Eloi pesait plus lourd que les écus.
    En souvenir de l’enfant qu’il fut,
je pus quelque peu m’atendrézir sur sa jeune mort, mais non pas le pleurer, les
larmes n’étant dues ni à sa trahison ni à ses cruautés, quelles que fussent la
légèreté ou l’inconscience qui les lui firent commettre. Fructu non foliis
arborem aestima [63] .
     
     
    Vers les premiers jours de décembre,
je me promenais avec Miroul et trois de mes valets dans la forêt de
Montfort-l’Amaury, fort bien armés tous cinq pour ce que ces bois n’étaient pas
sûrs, quand m’approchant d’un étang qui s’étend à la dextre de la route dite du
Grand Maître, j’ouïs de grands cris, et cuidant que ce fut peut-être des
voyageurs qui se faisaient couper bourse et gorge par des caïmans, je galopai à
brides avalées jusqu’au lac, suivi de ma troupe, et là je vis des bûcherons sur
une mauvaise barque tâcher de tirer de l’eau une garce, laquelle, loin de les
vouloir aider, luttait avec vigueur contre le secours qu’ils lui voulaient
porter, huchant à gorge déployée qu’elle se voulait noyer, et que ni Dieu ni la
Benoîte Vierge ne sauraient l’en empêcher. Par bonheur, elle disait cela en oc,
langue en Île-de-France tout à plein déconnue, sans cela ces pauvres bûcherons,
effrayés de ses blasphèmes, eussent, se peut, désisté de leurs efforts
auxquels, détachant une barque, je voulus donner la main, ramant avec mon
Miroul jusqu’à cette étrange désespérée qui trouvait quelque peine, soit à
poursuivre, soit à abandonner son entreprise, pour ce que ses sauveteurs la
soutenaient de leurs avirons, sans pourtant réussir à la persuader de
s’agripper à leur embarcation. Mais moi, venant dans son dos sans qu’elle m’eût
vu – continuant en oc ses impies et stridentes imprécations –, je la
saisis par le menton, et aidé de Miroul, réussis à la hisser à mon bord, après
qu’elle eut deux ou trois fois menacé de nous chavirer par ses désespérées
défenses. Ayant toutefois réussi à l’allonger sur le plancher de la barque en
pesant de tout mon poids sur elle, ce qui n’avait rien de plaisant tant elle
dégouttait d’eau glacée, et ayant saisi ses mains dans l’une des miennes pour
qu’elle cessât de me vouloir griffer en sa furie, elle s’aquiéta quelque peu et
moi, de mon autre main écartant de sa face ses longs, épais et ruisselants
cheveux (ce à quoi, tournant la tête qui-cy qui-là elle tâchait de s’opposer),
je réussis à la parfin à découvrir son visage, et béant, je reconnus Zara.
    — Ha ! Zara ! dis-je.
    Je n’en dis pas davantage tant
qu’elle ne fut pas en croupe de mon cheval, ordonnant à Miroul de l’attacher à
moi quand il aurait réparti quelques deniers aux bûcherons, lesquels, me tirant
leurs bonnets, me firent, comme eût dit la Reine Elizabeth, « dix mille
millions de mercis » au départir ; pour ce qu’assurément ils avaient
davantage gagné à ces quelques minutes passées sur l’eau, que toute une semaine
à fendre leurs bûches, s’étant garnis, au surplus, d’un conte dont ils allaient
faire la friandise de leurs veillées jusqu’à Noël.
    J’eusse pu ne pas lier à moi ma
pauvre Zara, pour ce que maintenant tout accoisée, et tremblant de froid de la
tête aux pieds, elle s’agrippait à moi de toute la force de ses bras, me
suppliant à l’oreille de ne point tant vite galoper ! qu’elle
tomberait ! qu’elle allait tomber ! qu’elle en mourait de peur !
À quoi je lui fis assavoir, tournant le col par-dessus mon épaule, qu’il valait
mieux mourir de peur que de l’eau, surtout en décembre ; et elle me disant
alors d’une certaine voix zézayante, qu’elle voyait bien que j’étais avec elle
tout méchant devenu, connivent avec le monde entier pour ne plus l’aimer, la
rejeter, la montrer du doigt, je conclus de ces âpres propos qu’elle reprenait
goût à la vie, puisqu’elle argumentait ; d’autant que, disant cela,

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