Le Prince Que Voilà
pauvre Reine-mère, martyre de la
goutte, s’était traînée de son lit jusqu’à son trône à la dextre du Roi,
usurpant cette place qui eût dû revenir à la Reine Louise, et qu’elle n’eût
consenti pour un empire à vaquer, tant le pouvoir tenait encore à toutes les
fibres de son cœur desséché (combien qu’elle n’en eût plus la moindre bribe,
depuis que le Roi avait renvoyé du Conseil les ministres de son choix et
s’enfermait à clé dans son cabinet vieil pour lire ses dépêches), sa face
ronde, pâle, bouffie, et commune assez, trahissant au moment où le Roi se leva
pour prononcer son discours une grande appréhension pour ce que le Roi l’avait
rédigé seul et fait imprimer sans lui en envoyer copie, ce qui revêtait d’une
quasi insufférable irrision l’hommage magnifique qu’il commença par lui rendre
dans ledit discours, disant de prime qu’elle n’était pas seulement la mère du
Roi mais « la mère de l’État et du royaume », lequel royaume,
comme le Roi, paraissait de présent fort résolu à se passer d’elle.
La Reine-mère était enrobée, comme à
l’accoutumée, de la noire et funèbre vêture qu’elle n’avait plus quittée depuis
la mort d’Henri II, tant est que le Roi étant lui aussi en noir, on ne
pouvait que savoir gré à la Reine Louise d’être vêtue de satin rose et d’avoir
la mine si quiète, la face si fraîche, son œil bleu luisant d’un tel innocent
éclat, n’ayant, par bonne chance pour elle, jamais rien entendu aux affaires,
et n’ayant jamais à rien servi, sauf de poupée au Roi, lequel, à défaut de lui
faire un fils, aimait l’habiller, la pimplocher et testonner, avec un peigne
d’argent, la belle et longue soie de ses cheveux d’or. Du moins était-elle en
cette austère assemblée un repos pour l’œil, à même enseigne que les fort
chatoyantes dames de la Cour qui se montraient aux galeries et, se peut, plus
avides de se montrer, en effet, que d’ouïr les politiques disputations, vers la
beauté desquelles dames mon regard se tournait souvent, ma narine large ouverte
aux parfums qui, par bouffées, me venaient d’elles, tant est que maugré la
gravité de l’heure, je m’eusse souhaité plus volontiers assis au milieu de
leurs beaux cotillons brodés d’or que debout au milieu de mes rufes et
malodorants Gascons.
Encore que le Roi fût vêtu de
velours noir, il n’avait renoncé pour la circonstance à aucun des
ornements – bagues, rangées de perles et boucles d’oreilles – dont il
aimait à se parer, non plus que de l’escoffion dont son chef était coiffé,
estimant qu’il n’avait point à quitter ses coutumières vêtures pour ce que
d’aucuns de ses sujets les brocardaient de les porter. De la même indépendante
guise, il rompit de par son bon plaisir la tradition qui voulait que le Roi
parlât assis sur son trône aux trois Ordres des États, voulant donner plus de
force, en le prononçant debout, à son discours, dont personne dans la salle ne
savait rien, pour ce qu’il l’avait comme j’ai dit rédigé seul en le silence et
la solitude de son cabinet vieil, sans le montrer à la Reine-mère non plus qu’à
ses ministres, ni à plus forte raison à son lieutenant-général, et en le
faisant tout de gob imprimer, afin qu’il pût être, après la séance inaugurale,
distribué aux députés des trois Ordres et envoyé par la suite aux gouverneurs
et sénéchaux des provinces, ainsi qu’aux membres des parlements, tant de Paris
que des bonnes villes.
Grand et majestueux, tenant en ses
mains gantées les feuillets imprimés de son discours, auréolé (je le vois
encore) de la lumière violette qui au travers de la tenture lui venait des
hautes flammes de l’immense cheminée, il parla de prime d’une voix basse,
hésitante et sourde, avant que tout soudain, se mettant pour ainsi dire au
diapase de ses propos, elle devînt ferme et forte.
Belle lectrice qui se peut lisez ces
lignes-ci sur un douillet fauteuil, tendant à votre feu vos pieds mignons, ou
se peut – comme j’aime à l’imaginer – gracieusement couchée sur votre
coite à la lueur des chandelles, peux-je vous prier avec la dernière insistance
de n’imiter point de présent les muguettes de cour qui estimaient si peu leur
intellect qu’elles s’apensaient injurieusement que les idées courtes allaient
de pair avec les cheveux longs, et pour cette raison ne se croyaient pas
idoines à entendre les subtilesses
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