Le Prince Que Voilà
allait
s’effondrant.
Ne pouvant saillir du château sans
eux, je fus deux grosses heures à m’apparesser avec les quarante-cinq, lesquels pétunaient, tapaient les cartes, et lançaient les dés avec leur
coutumière noise, fort insoucieux de l’avenir de l’État à ce que je vis et
trouvant la vie fort bonne tant qu’ils auraient toit, gages, bouche à court et
ribaudes. Simplicité qui, pour ne pas être tout à fait sainte, n’en était pas
moins félice en ce royaume et en ces temps, où rien que réfléchir vous jetait dans
les noires humeurs.
Giacomi me vint voir à l’Auberge
des deux pigeons après la repue du midi, La Bastide et Montseris qui, pour
être de mœurs rudes, ne manquaient point d’usage, vaquant la chambre dès qu’ils
le virent, afin que de me laisser seul avec lui, ce dont je leur sus tant gré
que je dépêchai la chambrière leur porter de ma part en la salle commune un
flacon de vin de Cahors. De ses bras arachnéens, qui me rappelaient Fogacer,
mon Giacomi me donna une forte brassée et je ne sais combien de poutounes, tout
riant, cependant, de me voir si noir de poil. J’appris de lui qu’il n’avait
quasiment pas quitté le Roi depuis les barricades, partageant sa vie errante,
chevauchant de Paris à Chartres, de Chartres à Rouen, de Rouen à Mantes, de
Mantes de nouveau à Chartres et de Chartres à Blois, Larissa cependant
demeurant en Paris, sans être molestée et son logis non plus, Giacomi étant
protégé par le Gros Pourceau (il entendait par-là le Duc de Mayenne), lequel
avait été son élève ès escrime. Cependant, Paris étant devenue sans le Roi une
sorte de bourgeoise république, sous la férule des Seize (les seize quartiers
de Paris ayant choisi chacun un représentant pour concourir à gouverner la
ville), lesquels Seize étant plus fanatiquement ligueux que la Ligue et plus
papistes que le pape, subjuguant le Parlement, pressurant les fortunes,
embastillant les « politiques », obéissant à peine à Mayenne et à
Guise, Giacomi, craignant à la parfin pour Larissa les entreprises de ces
zélés, lui avait écrit de se réfugier en ma seigneurie de Montfort-l’Amaury
avec ses enfants, ce qu’elle avait fait, me dit-il à son très grand
confortement, ayant reçu d’elle courrier le matin même.
— Le Roi, poursuivit-il, ne m’a
point dit ce qu’il en était de Venetianelli, sauf que tu le voulais encontrer
et qu’il y fallait aller à pattes de velours, l’homme étant au Guise. De lui je
n’ai qu’ouï parler, n’ayant jamais jeté l’œil sur sa personne, mais je connais
sa dona de cuori [78] laquelle on surnomme « la cavalletta ».
— Ce qui veut dire ?
— La sauterelle.
— Pour ce qu’elle a de longues
pattes ou pour ce qu’elle dévore les blés ?
— Les deux. La cavalletta est arrivée céans dans les chariots des États Généraux et, à peine advenue, a
ouvert une petite maison accueillante aux trois Ordres, où l’on boit, gloutit,
joue et paillarde.
— Ho ! Ho ! Signor
Maestro ! dis-je en riant, encore que je sois apensé qu’il vaut mieux
se ventrouiller au bordeau que de crocheter l’honneur d’une innocente garce, si
suis-je surpris que vous hantiez ces lieux…
— Je ne les hante que pour
jouer, dit Giacomi non sans quelque vergogne, étant possédé de ce vice, encore
qu’avec modération.
— Et vous espérez remonter pour
moi jusqu’à Venetianelli par le truchement de cette noble dame ?
— Non sans mésaise, pour ce que
la cavalletta est noble précisément, ou se donne pour telle, se vêt
comme Princesse, se pique de décorum, s’enveloppe de manières altières et
déguise ses ribaudes en fort décentes chambrières. C’est à peine si je suis
assez élevé pour qu’elle m’admette à sa table, n’y voulant que grands
seigneurs, onctueux prélats ou bourgeois étoffés.
— Et, dis-je en riant de ce
portrait, Venetianelli serait le mignon de cette haute maquerelle ?
— Le bruit en court. Mais je ne
l’ai jamais vu dans cette bonne maison, laquelle est fort bien garnie en
tentures, tapis, meubles, cristaux, argenterie, feux flambants, nombreux
domestiques, flacons coûteux et viandes délicates. La cavalletta amasse
mousse, l’or roulant vers elle. On dit qu’elle est secrètement mariée à
Venetianelli.
— Ha ! dis-je, j’en suis
marri. Comment le pourrai-je gagner s’il est par son épouse tant garni en
clicailles ?
Et là-dessus m’étant
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