Le Prince Que Voilà
me disant que tu avais été
témoin d’une entrevue entre lui-même et un certain seigneur qui, s’il n’est bon
ni sur terre ni sur mer, est bon du moins sur le pavé. Mon enfant, qu’en
fut-il ?
Et moi, émerveillé que le Roi pût
montrer tant de plaisir, dans les dents de la mort, à son « parler
exquis », je lui contai, tâchant de l’ébaudir davantage, ce que l’on sait,
qui le fit, en effet, s’esbouffer une ou deux fois, sa belle main devant sa
bouche, et s’attendrir aussi à ce que je vis, étant fort touché par le
déportement de l’ambassadeur.
— L’Anglais, dit-il quand j’eus
fini, a par-dessus toutes choses le sens de la dignité de sa charge. C’est un
trait que j’aime et que j’admire en cette vaillante nation, et plus que sa
vaillance même. Je garderai de tout ceci une fort bonne dent à Elizabeth et le
lui montrerai bien, si je vis. Mais, Siorac, je ne t’ai pas arraché à ta
seigneurie pour la seule commodité de voir ton bon et franc visage, encore
qu’il me conforte prou rien qu’à l’envisager, devant voir chaque jour tant de
faces bigotes et papelardes. Siorac, en un mot, voici la cible pour ta flèche.
Il y a, dans la familiarité du Magnifique, admis non point tout à fait à sa
table, mais parmi les gens qui le servent, un comédien vénitien du nom de
Venetianelli, lequel, d’après ce que j’en sais, est un gran birbone [77] ,
amusant, vif, bouffon, mais à ce que je crois, des scrupules comme sur ma main.
Siorac, j’aimerais que tu sondes dextrement ce fripon, éprouvant s’il est assez
profond pour que, y descendant un seau plein d’or, tu le remontes empli…
M’entends-tu ?
— Tout à plein. Mais, Sire,
peux-je bouger de l’Auberge des deux pigeons ?
— Sauf la nuit point, mais la
première prise de langue pourrait être faite par Giacomi, lequel a l’avantage
d’être aussi italien.
— Ha ! dis-je avec joie,
le maestro céans !
— Il te viendra voir après la
repue du midi. Siorac, un mot encore. J’ai fait écrire par Revol au juge-mage
de Montfort-l’Amaury, afin que ta seigneurie du Chêne Rogneux soit d’ores en
avant appelée Siorac. Ainsi tu seras deux fois Siorac, alors que ton père n’est
qu’une fois Mespech.
— Sire, dis-je, fort béant pour
ce que je n’avais rien entendu à ce langage, sauf qu’il se voulait
bienveillant, je vous en suis infiniment obligé.
— Hélas ! dit le Roi.
C’est fort peu. Mais de pécunes je n’ai même plus assez à Blois pour payer les
gardes de Larchant. Ainsi, tout ce que je te donne, Siorac, c’est ton nom.
— Sire, dis-je, n’émergeant pas
des ténèbres où ce discours me plongeait, ce nom est celui d’un homme qui vous
sert du bon du cœur.
— Si le sais-je !
Ayant dit, les deux mains appuyées
sur les accoudoirs de son fauteuil, le torse redressé, la crête haute et
m’envisageant œil à œil, le Roi dit avec gravité, mais sans emphase et sans
hausser la voix :
— À bientôt, Baron de Siorac.
— Ha Sire ! criai-je,
l’entendant enfin et me jetant à son genou, mais je ne pus en dire davantage,
Sa Majesté me présenta la main, et ne pouvant plus rien ajouter après l’avoir
baisée, et mes yeux seuls lui exprimant ma gratitude, je me retirai, les gambes
tremblantes, Du Halde me raccompagnant sur un signe du Roi.
— Du Halde, dis-je une fois que
nous fûmes dans le cabinet vieil, l’huis sur nous refermé, qu’en est-il de ces
États Généraux ? Sont-ils si mauvais que le Roi l’a dit ?
— Ha ! Baron ! dit Du
Halde, pis encore ! Le ver est dans les trois Ordres, et fort profond. Le
clergé, tout entier ligueux. Le tiers état, plus qu’aux trois quarts. La
noblesse elle-même, plus qu’à demi. Dieu du ciel ! Savez-vous les
présidents que les trois Ordres se sont donnés ? Le tiers état a élu La
Chapelle-Marteau. La noblesse, Brissac. Le clergé, le cardinal de Guise !
Lequel, comme vous savez, est un furieux. Benoîte Vierge ! Mon pauvre
maître ne recevra de ces États en son inouï calvaire que des épines, des
crachats et des flagellations.
Sur quoi, je vis les larmes couler
sur sa longue et austère face et, lui donnant une forte brassée, je rejoignis
les quarante-cinq en la salle aux Cerfs, moi-même le nœud de la gorge me
serrant, n’ayant en mon pensement non point mon titre de baron (qui m’eût tant
réjoui en d’autres temps) mais la misère et mort d’un avenir où le trône
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