Le Prince Que Voilà
nombre des gentilshommes du tertium quid qui se voudraient à cette heure-là désommeiller.
Cependant, comme nous cherchions
vainement à colorer de quelque vraisemblance cette heure matinale que nous
avions fixée à sept heures, c’est-à-dire à un moment où le jour en décembre n’était
même pas levé, le Roi qui se tenait debout devant le feu, vers les flammes
duquel il tendait ses mains, dit sans tourner la tête et en parlant lui aussi
fort bas, que la raison en pourrait être que se proposant de partir ce matin-là
en carrosse pour sa maison de La Noue, afin d’y faire retraite, il voulait que
le Conseil pût se tenir avant son département. À quoi l’un de nous ajouta que
le Roi pourrait prendre prétexte de ce département pour faire demander la
veille les clés du château au tertium quid, lesquelles clés il détenait
ès qualité de grand maître de France, afin que de fermer les portes du château
dès que le Conseil serait réuni, ce qui aurait pour effet de refermer la nasse,
une fois que le poisson s’y serait engagé.
Cette précaution fut adoptée, mais
ne fut pas jugée suffisante pour la raison qu’il nous parut fort désirable,
pour éviter l’affrontement que j’ai dit, d’isoler le tertium quid de sa
suite, en faisant occuper par des gens à nous les trois escaliers qui menaient
aux appartements du Roi, à savoir sur mon plan, E, e et e’.
Mais il se présenta là une
difficulté que nous fûmes longtemps sans pouvoir résoudre, car s’il était sans
inconvénient aucun que les quarante-cinq se rendissent maîtres de e et de e’, puisqu’alors ils étaient hors de vue, en revanche, s’ils
avaient occupé le grand escalier d’honneur à l’entrant du tertium quid, ils n’eussent pas manqué d’éveiller sa méfiance, le tertium quid n’ignorant pas à quel point les quarante-cinq le haïssaient, ayant à
cela de fort bonnes raisons.
De cette traverse le Roi nous
désembourba derechef, disant que Larchant pourrait occuper le grand escalier
avec ses gardes sous le prétexte de réclamer au Conseil des soldes impayées. Et
qu’en outre, Larchant pourrait avertir le tertium quid de cette démarche
la veille dudit Conseil, afin qu’il ne fût pas surpris à sa vue. On voulut
alors débattre du lieu où le tertium quid serait dépêché, mais le Roi,
nous interrompant, nous dit qu’il avait résolu la question en son for, qu’il
n’était donc pas utile qu’elle soit soulevée ni discutée, que de reste, il
n’avait pas encore fixé le jour du Conseil, qu’il nous remerciait de nos avis,
et qu’enfin il nous recommandait avec la dernière instance le secret le plus
absolu, lequel nous ne devions départir à âme qui vive et « pas même au
Seigneur Dieu en nos prières » . Parole qui ne fut pas sans m’étonner
dans la bouche d’un Prince aussi dévotieux.
Je me ramentois qu’en revenant ce
soir-là àl ’Auberge des deux pigeons, j’eus une sorte
d’éblouissement des yeux, suivi d’une vertigine telle qu’il me sembla que tout
tournait dessus dessous. Mais cela ne durant que le temps d’un battement de cil
et sans récurrence aucune dans les minutes qui suivirent, et ma santé étant
alors ce qu’elle est à ce jour, aussi bonne que possible, je me rassurai et je
conclus que la raison de ce passager malaise avait été morale et prenait sa
source dans le sentiment qui me poignait depuis l’entretien que je viens de
dire dans le cabinet vieil, que tout allait tout soudain se précipitant, sans
qu’il fût possible d’ores en avant de rien arrêter, la fatalité ne marchant
d’un pas si rapide que parce qu’elle aspirait à répandre le sang.
À la nuitée, à ma considérable
surprise, car je croyais avoir vu la veille le dernier de ses talons,
Venetianelli me vint voir, à qui je fis, comme bien on pense, d’infinies
caresses et d’hyperboliques compliments, le faisant asseoir à ma table, face au
miroir qui lui était à tant de commodité, et avec lui chaleureusement
partageant mes viandes et flacons, sans le presser d’aucune question, mais
attendant que le fruit fût mûr pour qu’il me tombât dans le bec. Et en effet,
dès que le Venetianelli se fut dilaté à la mesure des grâces et des charmes
dont je le submergeais, il me dit que le Guise avait appris la fureur du Roi à
son retour en ses appartements et que Sa Majesté avait ensuite longuement
conciliabulé avec ses plus proches conseillers dans le cabinet vieil,
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