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Le Prince Que Voilà

Le Prince Que Voilà

Titel: Le Prince Que Voilà Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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quantité, étant
chiche-face, qu’il ne tuait personne.
    Comme j’achevais à Jacotte mes
recommandations, je vis mon père descendre d’un pas las et lourd les degrés de
l’étage et tirant à moi, l’œil baissé, la face grave, il me prit par le bras et
me dit en français :
    — La navrure n’est point
petite. La balle a percé le corselet et traversé le poumon de part en part.
C’était folie de ne pas accorder vie sauve à ce gueux ! Que valait-elle au
regard de celle de Sauveterre et de la vôtre ?
    — Mais, dis-je, la salive me
séchant en bouche, et le nœud de la gorge serré. Ambroise Paré assure qu’on
peut recouvrer d’une arquebusade au poumon.
    — Assurément, on le peut. Mais
la pronostique n’est pas bonne chez un homme de cet âge et de si peu d’appétit
à vivre. Pierre, fais-toi bailler char et mule dans le village pour ramener
l’oncle à Mespech. Il ne pourra tenir à cheval.
    Je trouvai les gens du village dans
l’effroi et le tremblement, et chantant haut le los de Mespech, pour ce que nul
ne doutait que si nous n’étions survenus, les gueux, picorée et pillerie
finies, ne les eussent tous passés au fil de l’épée, garces et curé compris.
Ils étaient donc soulagés de n’avoir que deux morts à pleurer, si tant est
qu’ils les pleurassent : le veilleur Villemont et un nommé Fontanet qui
avait été occis une pique à la main, défendant bec et ongles son bien, ce dont
tout le monde le blâma, pour ce qu’il convenait peu au vilain d’être vaillant
comme gentilhomme, n’ayant pas été comme lui nourri aux armes dès l’enfance, et
sortant, pour ainsi parler, de sa condition en voulant singer sa vaillance.
    À peine cependant m’eut-on, en un
grand bruissement de babil, baillé char et mule, que j’ouïs un coup de feu, et
l’oreille dressée, un second que je sus venir de la Fumélie où les fuyards, à
coup sûr, en voulaient à nos chevaux, Pétromol les arquebusant de la fenêtre du
mas.
    — Compagnons ! criai-je, à
moi ! à la Fumélie ! On nous veut larronner nos chevaux !
    Et déjà je me ruai au porche du
village, suivi des nôtres quand la voix de mon père, rugissant derrière mon
dos, emplit la place du village de son tonnerre :
    — Pierre ! Je t’ordonne et
commande de demeurer céans ! Cabusse, Fröhlich, Jonas, mes deux cousins
Siorac, courez à la Fumélie et à la prudence, vous faisant connaître par cri de
Pétromol ! Ne hasardez rien ! L’affaire nous coûte trop déjà !
Mieux vaut perdre monture que cavalier !
    Combien que je fusse fort vergogné
et chagrin que mon père m’eût rabattu devant nos gens, j’entendis par ces mots
qu’il ne l’avait fait que par la crainte de me perdre dans cette échauffourée,
partageant la superstition commune aux soldats qui veut qu’un malheur ne vienne
jamais seul. En quoi il ne se trompait guère puisqu’à la Fumélie, mon Fröhlich
reçut de ces vilains une balle, qui, déchirant son morion, à un demi-pouce
près, lui eût percé le crâne, se contentant de lui arracher à demi l’oreille
senestre que toutefois je lui recousis à Mespech une heure plus tard, sans
autre incommodité pour lui qu’un grand pâtiment sur l’heure et plus tard, une
grande cicatrice à parader devant les belles.
    Il s’en fallait de prou que la
navrure de Sauveterre fût si bénigne. À chaque respiration, quelque peu de sang
ne pouvait qu’il ne jaillît du trou de la poitrine. Et même quand j’eus réussi
à l’arrêter – ce qui fut pour l’oncle excessivement à dol – il ne
recouvra guère de forces, la fièvre demeurant aiguë et continue, le pouls
désordonné, et le cœur par instants faiblissant, la gêne à respirer étant
immense. De trois jours, ni mon père ni moi ne quittâmes son chevet, lui
recommandant de branler le moins qu’il se pouvait, de s’accoiser tout à plein,
de prendre souffle à très petits coups, et de boire lait et bouillon. Ce qu’il
fit point par point pour nous agrader, n’ayant fiance ni foi en sa guérison.
    Ne pouvant selon nos prescriptions
ouvrir la bouche, il nous envisageait mon père et moi selon que l’un ou l’autre
fût assis à côté de lui, avec un air de si suave et profonde affection que
c’était à peine si nous pouvions devant lui refréner nos pleurs. Il semblait
que toute l’imployable rigueur qui avait été la sienne sa vie durant se fût
comme dissoute à l’approche de la mort, laissant nue l’âme

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