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Le Prince Que Voilà

Le Prince Que Voilà

Titel: Le Prince Que Voilà Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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leurs vertes années dans la légion de
Normandie, sans jamais se séparer depuis dans les dents des inouïs périls de la
persécution contre les huguenots, dressés côte à côte dans le Sarladais comme
deux rocs par le flanc soudés, et que battirent continuement les flots sans les
pouvoir rompre ni disjoindre.
    Hélas, la mort venait d’achever ce
que la malice des hommes avait failli à faire et la frérèche – comme on
l’appelait à dix lieues à la ronde – s’encontrait d’ores en avant amputée
d’une moitié, saignant d’une navrure qu’il n’était chirurgien au monde qui pût
panser ni curer. Et de mon père, dont je dirai plus avant le chagrin, jusqu’au
dernier de nos gens, lesquels aimaient Sauveterre de grand respect, n’étant
point rebutés par son imployable vertu, bien le rebours, notre pauvre Mespech
n’était que dol et deuil, ses murs retentissant de pleurs et de lamentations,
ou pis encore s’endormant dans un morne silence, comme si la présence de
l’homme l’avait tout soudain déserté.
    Quant à mon père, il m’apparut qu’à
la mort de Sauveterre il devint veuf pour la seconde fois, tant il fut mis hors
ses gonds par la disparition de son compagnon d’attelage et de labour, avec qui
il avait eu un tel quotidien commerce, ménageant la châtellenie, lisant les
mêmes livres, suivant le même culte, décidant tout d’une seule voix et pourtant
disputant sans trêve, comme on l’a vu, car ces hommes, unis dans la même foi et
la même irréfragable amitié, étaient d’étoffe et de complexion si contraires
que c’était miracle qu’ils en fussent venus à tant s’aimer.
    Mon père, dont la moustache avait
blanchi en une nuit après la mort de Sauveterre, parut se perdre dans
l’anxieuseté d’un endeuillement sans limites, l’œil figé à terre, la lèvre
serrée, la parole rare, le geste lent et hésitant, comme s’il cherchait sans
cesse à ses côtés, à table, à cheval, à la librairie, à l’étable ou au champ,
ce frère grondeur et mal’engroin dont il aimait jusqu’aux rechignements, parce
qu’ils venaient de lui, et aussi, à ce que je me suis souvent apensé, parce
qu’en lui ramentevant les plus sévères maximes de sa foi huguenote, ils le
dispensaient en quelque guise de s’y plier, la haute vertu de Sauveterre lui
étant, pour ainsi parler, le garant de sa gaillardise.
    Le désarroi et la désolation de mon
père étant tels, j’avais sursis une fois de plus à mon département de Mespech,
sachant bien que Jean de Siorac ne pourrait être en aucune manière conforté par
mon aîné François dont la présence pesait tout son poids de froidure, même en
cet afflict et tristesse. Quant à ma petite sœur Catherine, combien qu’elle fût
de mon père raffolée, elle était fort occupée depuis la lettre du corbillon à
faire de vifs vœux pour que Charles IX rendît sa méchante âme à son
Créateur afin qu’incontinent revinssent en France de leurs frimas polonais le
Duc d’Anjou et sa brillante suite. Vivant ainsi dans le nuage de son grand
pensamor, elle bondissait sur les chemins fleuris du futur et se voyant déjà
baronne, reçue au Louvre, et logée en Paris, c’est à peine si elle touchait
terre encore à Mespech dont la malenconie ne pouvait qu’effleurer, sans la
gâter, la liesse de son jeune cœur.
    Je demeurai donc en Mespech, de
prime pour quelques jours, et mon père faillant à sortir de son douloir,
quelques semaines encore, et son pâtiment croissant au lieu que de décroître
(et me donnant à la parfin quelques inquiétudes sur sa santé) un deuxième hiver
en son entièreté. Et que me furent interminables ces longs mois froidureux
passés derechef en la châtellenie sans le confortement de mon Samson, de
Quéribus, de Gertrude, de la belle Zara, toute jeunesse, beauté et gaîté
envolées tout soudain de nos murs, Catherine inaccessible en ses songes dorés,
et ma Gavachette fort tousseuse, crachante et maigrissante, ayant pris un
méchant froid qui lui tourmentait le poitrail, et de surplus fort aigrie de la
fausse couche qui l’avait privée en mars de me bailler bâtard.
    Je tâchai à succéder au co-seigneur
en ses tâches et fonctions auprès de mon père, mais entendant à la fin que ce
replâtrement faisait à Jean de Siorac plus de mal que de bien, je me garnis
d’une autre arquebuse et entrepris de réveiller sa grande et ancienne amour
pour la médecine. Sous le couvert de fourbir mon propre

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