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Le Prince Que Voilà

Le Prince Que Voilà

Titel: Le Prince Que Voilà Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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savoir qui se rouillait
à ne pratiquer point, je l’entraînai aux lectures et à la dissection, tant des
animaux sacrifiés pour nos viandes que des pauvrets mourant comme mouches sur
les chemins en ce rude hiver. Et après trois mois de cette continuelle et
quotidienne étude, je vis mon père redevenir plus vif, sa taille redressée, sa
vigueur revenue, et émerger en même temps de l’excessive et morose dévotion où
la mort de Sauveterre l’avait plongé, par où, à ce que je cuide, il faisait par
trop saigner sa conscience pour les péchés où sa complexion l’avait porté, et
le devait porter encore, s’il ne voulait point renoncer à la vie en renonçant à
l’ardent appétit qu’il en avait.
    Et de cela conversant au débotté
avec lui au coin du feu en la librairie, au retour d’une chevauchée sur nos
terres, j’osai lui dire tout de gob que clore l’huis comme il avait fait,
depuis la mort du co-seigneur, entre sa chambre et la chambre jouxtante me
paraissait tout à plein hors raison, privant Mespech des fils et des filles
qu’il pourrait en sa verdeur procréer encore, fécondité tant souvent
recommandée par le Seigneur en sa Bible, comme bien il le savait lui-même pour
avoir lu, médité et cité à Sauveterre ce passage du Livre Saint où l’on voit
Jacob répétitivement engrosser Rachel, Lia et les servantes d’ycelles.
    À quoi, sans d’abord piper mot ni
miette, mon père se leva et marcha qui-cy qui-là dans la librairie, mais d’un
pas vigoureux et comme impatient, le dos droit, la crête haute, et comme en
était sa coutumière usance, les deux mains sur les hanches, me comblant d’aise
et d’espoir de le voir recouvrer enfin cet habitus corporis [9] où je l’avais toujours vu.
    — Il est vrai, dit-il, que je
faisais à mon frère Jean cette citation, et bien d’autres de la même farine que
je tirais du Livre. Mais n’était-ce point sacrilègement couvrir mes péchés de
trop haute autorité ? Et quand je coqueliquais avec la pauvre pastourelle
qui me donna Samson, n’était-ce pas adultère manifeste, votre mère étant vive
alors et mon épouse devant Dieu ?
    — Certes ! dis-je, mais
l’arbre se juge à ses fruits : cette faute-là vous fut au ciel assurément
pardonnée, puisqu’il vous donna Samson, ce bel ange qu’il n’est personne au
monde qui n’admire et chérit, et que l’oncle même, qui vous fit tant de prêches
au moment de sa conception, tient en plus haute estime qu’aucun de vos fils
légitimes.
    — Vous avez dit
« tient », dit mon père en levant le sourcil. Vous parlez de
Sauveterre comme s’il était vif ! Aussi l’est-il dans mon cœur,
poursuivit-il d’un air rêveux, et en mon for, je dispute avec lui sans cesse,
et de tout. Or, il est bien constant, comme vous dites, mon Pierre, que votre
oncle Sauveterre, je l’ai observé maintes fois, n’était point fâché, bien le
rebours, de voir multiplier les enfantelets par quoi Mespech croissait et se
fortifiait. Il abhorrait mes fautes, mais il en aimait les effets.
    À quoi je m’accoisai, le voyant en
ses songes perdu et craignant de les lui gâter en ouvrant le bec derechef. Ne
le sais-je pas bien, moi chez qui l’imaginative, comme chez mon père, a si
grande seigneurie : nos pensées sont comme des pouliches qu’il faut
laisser galoper au pré, tête haute et crinière au vent et ne les brider point
tant qu’elles ballent de-cy de-là, jeunettes, sur leurs belles jambes. Le mors
peut venir après, si mors on veut.
    Dès que la Gavachette s’était
alitée, j’avais délaissé sa coite, non que je crusse à la contagion de son
intempérie, mais la pauvre garce était si brûlante et branlante que je ne
trouvais guère le repos contre son flanc fiévreux. En outre, j’avais obtenu de
mon père qu’on entretînt continuement près d’elle un grand feu, pour ce que
j’opinais qu’accroître sa sueur évacuerait à la fin son mal. Remède dont je ne
sais s’il devait la curer, mais étant alors comme chassé de ma chambre, sauf
pour de brèves visites, par la chaleur insufférable que j’y trouvais, je me
réfugiai dans un petit cabinet jouxtant à celui de la Franchou, laquelle
j’oyais la nuit se tourner et se retourner sur sa couche comme crêpe à la
poêle, à s’teure pleurant à gros sanglots, à s’teure soupirant comme soufflet
en forge, s’encontrant bien seulette depuis que le baron de Mespech ne l’allait
plus rejoindre, mon père étant

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