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Le Prince Que Voilà

Le Prince Que Voilà

Titel: Le Prince Que Voilà Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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sensible et
infiniment bénigne qu’elle avait jusque-là masquée, tant par vergogne que par
huguenote austérité.
    Le matin du quatrième jour, la
fièvre étant tombée, et le malade ayant dormi grâce à l’opium qu’on lui avait
administré la veille, mon père lui dit :
    — Mon frère, vous allez mieux.
    — Nenni, je meurs, dit
Sauveterre avec un air de si absolue certitude que je vis bien que mon père n’y
voulait ni pouvait contredire, d’autant que la respiration, ce jour-là, devint
fort labourante, pénible et comme entrecoupée de moments où le patient perdait
haleine au point qu’on eût cru qu’il allait passer. Il n’était plus utile de
recommander à l’oncle Sauveterre de s’accoiser : il n’avait plus guère de
vent pour parler et demeurait la bouche ouverte comme un poisson hors de l’eau.
    Cependant, vers le soir, il reprit
quelques forces et demanda à mon père d’appeler à son chevet François et
Catherine, à qui toutefois il se contenta de dire d’une voix ténue :
    — Ramentez-vous que vous fûtes
tous deux élevés dans la religion réformée.
    Et de la main, il les renvoya,
n’ayant point pour eux une si grande amour que pour Samson et pour moi,
Catherine parce qu’elle était fille, et François, parce qu’il était lui.
    Il hoqueta vers les six heures, mais
vers les sept heures, les hoquets s’apaisant, il se tourna vers mon père et
l’envisageant longuement, il esquissa un sourire et dit d’une voix faible, mais
cependant distincte :
    — Jean, tu as été, ces
trente-sept ans passés, ma seule joie terrestre.
    Mon père qui était assis à son
chevet, lui donna alors la main et je vis que Sauveterre la serrait avec force,
me donnant quelque fol espoir de le voir se recouvrer malgré tous les
indubitables signes qui allaient au rebours. Mais j’entendis mieux au bout d’un
instant ce qu’il en était : à cette main qui de toute sa vie ne lui avait
failli, tant mon père avait été pour lui un fidèle et immutable ami, il se
raccrochait à la fin pour livrer ce dernier combat que nous ne pouvons que
perdre, et passer le noirâtre et traîtreux passage qui débouche à la mort.
Toutefois, il parla encore vers les neuf heures, d’une voix perceptible à
peine.
    — Ma présence céans, dit-il en
un souffle…
    Mon père approcha l’ouïe et hocha la
tête pour lui faire entendre qu’il écoutait.
    — Ma présence céans, reprit
l’oncle par bribes et saccades… ne fut que dure absence… aux félicités
éternelles.
    Mon père et moi, nous nous
entrevisageâmes en silence, nous apensant que Sauveterre ne pouvait mieux
résumer la rigueur d’une vie qui n’avait été que l’attente de ce qui la devait
suivre. Je vis que mon père voulait parler, mais ne le put, sa voix
s’étranglant dans le nœud de sa gorge et les larmes roulant sur ses joues,
grosses comme des pois. De reste, toute parole eût été inutile. Sauveterre, son
brun visage pâli et creusé, avait déjà dépassé, en son dur voyage, les mots et
les pensées de sa native langue, le regard étant trouble et fixe, et la
respiration tant sifflante et labourante que le cœur me cognait de l’ouïr dans
le désespoir de ne pouvoir l’aiser.
    — Pierre, dit mon père quand
l’horloge eut sonné dix heures, va manger un morcillon à la salle et boire un
pichet de vin.
    Je me levai pour lui obéir, les
épaules fort lourdes, quand tout soudain Sauveterre donna un violent
soubresaut. Un flot de sang jaillit de sa bouche, ses mains se crispèrent et il
retomba d’un coup dans une immobilité dont nous sûmes, avant même que d’avoir
écouté son cœur, qu’elle était aussi éternelle que les félicités qu’il s’en
promettait.
     

CHAPITRE III
    Ce fut pour Jean de Siorac béante et
âpre plaie que la mort de Jean de Sauveterre lequel rendit sa noble âme à Dieu
en la soixante-deuxième année de son âge, le co-seigneur étant de cinq ans plus
âgé que le baron de Mespech et celui-ci, son héritier par affrèrement devant
notaire de Sarlat en date de 1545, acte par lequel, s’adoptant, comme on sait,
avant que d’acheter la châtellenie, les deux Jean se baillèrent l’un à l’autre
leurs biens présents et à venir.
    Mais s’il est un bien qu’ils ne purent
alors se donner, ce fut de quitter ensemble cette terre où ils avaient vécu
trente-sept années dans le lien par eux forgé au cours des jours venteux de
leur vie, ayant servi au botte à botte en

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