Le Prince Que Voilà
la
proie du démon !
— Tenez-vous coite ! dit
Samarcas d’un ton sévère, et saisissant par-derrière ses deux poignets, il la
serra à soi avec force. Et cessez vos chatonies ! Je ne les souffrirai
pas ! Vais-je vous fouetter ? Ou quérez-vous qu’on vous serre
derechef au couvent ?
— Ho non ! Ho non !
Ho non ! s’écria Larissa, qui, tout soudain se déroidissant, parut à
Samarcas s’en remettre toute et s’abandonner. Ce que voyant, Samarcas libéra
ses mains et Larissa, se retournant et lui enserrant la taille de ses bras,
posa de soi sa tête sur son épaule et demeura tranquille en cette filiale
posture, plus docile qu’une enfantelette.
— D’ores en avant, reprit
Samarcas avec une douceur qui m’étonna, et en posant légèrement sa forte main
sur les cheveux de sa pupille, ramentez-vous que vous êtes Larissa, que vous
devez votre corps de male méchance garder, et que si vous péchez, vous serez
pardonnée, pour peu que soit sincère et véritable votre confesse.
— Amen, dit Larissa d’une
petite voix quiète et étouffée.
— Monsieur de Siorac,
poursuivit le jésuite dont les graves accents parurent m’emplir la tête tant
ils résonnaient dans la poivrière, vous entendez et mesurez par ce qui est venu
à passer céans, combien votre arrivée en Barbentane a porté de trouble en cette
pauvre tête. N’y ayant pas intérêt que ce trouble gagne d’autres personnes et
cette noble famille n’ayant que trop pâti déjà, peux-je quérir de vous de ne
toucher mot à quiconque de cette déplorable méprise ? Et peux-je aussi
vous prier instantement (le même ton de menace affleurant en cette prière, qui
ne l’était guère que de nom) de vous engager d’honneur à empêcher le retour de
cette méprise-là, vous ayant ce soir enseigné un moyen assuré et certain d’y
parer.
— Monsieur, dis-je d’un ton
ferme et froidureux, la méprise, comme vous voulez bien dire, n’a pas été de
mon fait et je n’ai pas à m’engager d’honneur à prévenir son renouvellement,
mon honneur n’ayant pas failli en cette occasion, pas plus, du reste, qu’en
aucune autre.
— Monsieur de Siorac, dit Samarcas,
nullement rabattu par ma roideur, je ne doute pas que votre bonne foi désormais
veillera avec le dernier scrupule à ce que Larissa ne soit jamais par vous avec
sa jumelle confondue, confusion qui aurait pour tous des conséquences si amères
que je répugne à les envisager, et plus encore à les nommer.
Là-dessus, il me fit un petit salut
tout aussi roide que mon ton et, prenant Larissa par la main, il la tira après
lui dans le chemin de ronde et sans tant languir s’en fut.
Sanguienne ! m’apensai-je, tout
à plein hors mes gonds, à peu qu’il ne m’ait défié ! Havre de grâce !
Un duel ! Céans ! Et avec un jésuite ! Ce Samarcas doit avoir
une fiance démesurée en sa fameuse botte ! À vivre continuement en son
sein, il a pris les usances du monde ! Le ton seul est onctueux, car pour
le fond, il brave, piaffe et défie comme le plus jaleux et furieux des
maris !
Mon ire toutefois s’aquiétant et
m’étant sur moi quelque peu réfléchi, en ayant le loisir, Angelina
n’apparaissant point encore, je résolus de n’obéir point à la première des
injonctions de Samarcas, et de cacher la chatonie de Larissa à ses parents et
mon père, mais de m’en ouvrir en revanche à Giacomi qui me paraissait nourrir
pour cette pauvre garce intérêt et compassion, et de prime à Angelina, laquelle
avait quelque droit à ne point ignorer la fallace de sa jumelle et moi-même me
sentant en quelque obligation de la lui révéler.
Je crus rêver quand j’ouïs derechef
des talons de garce résonner sur les dalles du chemin de ronde, et quand je vis
sur le blanc plus clair de la nuit se profiler la silhouette sombre de mon
aimée, laquelle se mit elle aussi de côtel pour permettre à son vertugadin de
passer l’ouverture de la poivrière, et prit les mains que je lui tendis, mais
sans s’approcher plus outre, paraissant fort vergognée de s’encontrer seule
avec moi, et à cette heure, et en un lieu si resserré. Quoi voyant, et
observant qu’elle était hors de vent et haleine du fait de son émeuvement, je
renonçai, pour le présent du moins, au plaisir de poutouner ses lèvres
fraîchelettes et veillai à distances garder, comme eût dit la Gorgone, lui
voulant d’abord conter ce qu’il en était de Larissa, conte qu’elle ouït, à
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