Le Prince Que Voilà
recommandai à leurs soins, ne voulant point que
les chambrières (hors Florine) mettent le nez dans la chambre, ne sachant quant
à moi (dis-je) le quoi ni le qu’est-ce de ce duel, et ne voulant point y être
compromis.
— Ha ! s’écria Gertrude,
un Anglais ! Zara, as-tu ouï ? Un Anglais !
— Ha, Madame ! dit Zara, à
peu que je n’en croie mes petites oreilles ! Un Anglais ! Un Anglais
céans !
Et vous eussiez cru, à les entendre,
qu’un sujet de la Reine Elizabeth était la chose la plus rare du monde.
— Ha, mon frère ! dit
Gertrude, est-il jeune au moins ?
— Il l’est.
— Et beau ? dit Zara.
— Il est roux.
— Ha Monsieur mon frère !
s’écria Gertrude, comment dites-vous cela ? Avec quel déprisement !
Que partial et méchant vous êtes ! Ne vous ai-je pas ouï, il y a un mois,
porter aux nues Lady Stafford pour ce qu’elle était précisément de ce roux.
— C’est différent, dis-je, Lady
Stafford a le cheveu vénitien. Mon homme l’a carotte.
— Mais, Monsieur mon frère,
vous partez ? dit Gertrude, me voyant prendre la porte. Vous aurais-je
piqué en parlant de votre méchantise ?
— Nenni, nenni ! dis-je
avec un sourire. Rien en ce royaume n’est plus débonnaire que vous, Gertrude,
hors mon Angelina.
— Et moi ? dit Zara.
À quoi, refermant la porte, je ne me
donnai point le loisir de répondre, tout plein que j’étais du propos que je
venais de former, à ouïr Gertrude, de visiter sans délayer la maréchale de
Joyeuse.
Je lui fis porter un mot par mon
Miroul, fort aise d’abandonner la coche de Gertrude pour s’aller muser en
Paris, sachant bien que je n’allais point cette fois le picanier de sa
musarderie. Et par le fait, il ne revint qu’après la repue de midi, ayant mis
deux grosses heures, là où une seule eût suffi. À quoi j’eus un double
contentement : celui que la maréchale me manda qu’elle voulait bien me
recevoir, et celui d’ouïr Florine tabuster son mari plus âprement de son retard
que je n’eusse jamais osé faire. Et sans qu’il osât rebéquer, tout bien fendu
de gueule qu’il fût. – Ha ! pensai-je, voilà bien les hommes !
Avec moi le mangeur de charrettes ferrées ! avec sa Florine, le doux
agneau ! Tant les femmes mènent les maris là où il leur chaut et les peuvent
toquer sans qu’ils puissent les coups parer, étant trop proches de leur cœur.
Dès qu’on m’eut ouvert l’huis chez
la maréchale, et que je me trouvai dans l’antichambre de son logis, sur qui
tombai-je (mais à vrai dire, sans aucun mal), sinon sur Aglaé de Mérol,
laquelle j’avais bien connue en mes jours d’écolier médecin en Montpellier,
comme je l’ai jà conté, Aglaé étant la dame d’atour de M me de
Joyeuse qu’on n’appelait en ces temps-là que la vicomtesse, son mari étant le
gouverneur de la bonne ville.
Aglaé désespérait alors de convoler
jamais, son père étant fort riche et ne la voulant marier qu’à un gentilhomme
ayant au moins cinquante mille livres de rentes, et les trois ou quatre
prétendants en Languedoc qui répondaient à cette exigence ragoûtant peu la
belle. Havre de grâce ! Dix-huit ans déjà avaient coulé comme sable sur
une dune depuis que j’avais pour la première fois baisé sur sa jolie fossette
la brune mignote, laquelle, orpheline enfin, ayant suivi M me de
Joyeuse en Paris, y encontra le marquis de Miroudot, beau gentilhomme de dix
ans son cadet, de bonne et ancienne noblesse, mais pauvre comme Job et n’ayant
pour vivre que ses dettes – lequel, étant maîtresse de ses destinées, elle
épousa.
En quoi elle fit bien et mal, car si
Philippe de Miroudot, qui était un gentilhomme de beaucoup d’esprit, d’un goût
fort raffiné et du tact le plus suave, devint pour elle le plus délicieux des
amis, passant des heures avec elle en son cabinet à l’habiller, à la coiffer, à
la pimplocher, en revanche, ses soins et sa complexion ne le portaient pas plus
avant, étant à d’autres objets intéressé. Tant est qu’Aglaé eut toutes les
peines du monde à se faire faire de lui un enfant, son jeune mari n’allant que
d’une fesse à cette entreprise, si affectionné qu’il fût à elle, si épris de sa
compagnie et si amoureux de ses vêtures. Sentiments dont Aglaé sentait bien
tout le prix, mais qui ne la comblaient pas tout à plein, encore que sa grande
amour pour Philippe n’en fût pas délitée, mais prît un cours plus
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