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Le Prince Que Voilà

Le Prince Que Voilà

Titel: Le Prince Que Voilà Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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cousin, vous vous gaussez ! Car c’est justement là où le
bât me blesse ! Nous sommes montés trop vite et trop haut ! Cette
ascension m’épouvante ! Je ne songe qu’à la chute qui de force forcée la
suivra ! Savez-vous que lorsque le Roi a marié mon fils (il en avait marié
deux, mais elle parlait d’Anne de Joyeuse dont le prénom ambigueux faisait
sourire les méchants de la Cour) à la Princesse lorraine, faisant de lui son
beau-frère, je me suis trouvée si stupéfaite par cette élévation et les
libéralités inouïes qui l’accompagnaient que je me suis tenue serrée en mon
oratoire deux jours et deux nuits, contrefeignant une intempérie pour n’avoir
point à me montrer, et priant Dieu d’arrêter au plus vite le cours de cette
immense fortune dans l’horrible appréhension où j’étais, où je suis toujours,
de notre inévitable déclin.
    — Madame la Maréchale !
dis-je, béant, puisse le Ciel ne pas vous avoir ouïe ! Et pourquoi, après
tout, tant redouter l’avenir ? De l’aveu unanime Anne est fort solidement
ancré dans la faveur du Roi.
    — Mais le Roi est mortel, mon
cousin ! dit la maréchale en baissant la voix jusqu’au murmure, et s’il
meurt, qu’en sera-t-il de nous ? Cette châtellenie de Limours que le Roi a
baillée à mon fils, à son mariage, savez-vous son histoire ? (Je la
connaissais, mais ne sourcillai point.) François I er l’a
arrachée des mains du trésorier Ponchet pour la bailler à M me d’Étampes. Le Roi mort, Henri II l’a arrachée à M me d’Étampes
pour la donner à Diane de Poitiers, à qui elle fut arrachée à la mort
d’Henri II et la voilà maintenant ès poings de mon fils ! N’ai-je pas
quelque raison de craindre ?
    À quoi je répliquai d’un air grave
je ne sais quelle fadaise consolante, fort amusé en mon for que M me de Joyeuse, en sa naïveté, eût évoqué le sort de cette châtellenie de Limours
qu’un étrange destin avait vouée, comme disait mon ami l’Étoile, «  à
venir successivement en proie à toutes les mignonnes et mignons de nos
rois ».
    — Mais, Madame, dis-je à la
parfin, Anne est marié à une Princesse lorraine ! Qui oserait retirer
cette terre à la sœur de la Reine ?
    — Ha mon cousin ! dit la
maréchale, la larme au bord de l’œil, vous touchez là à la pire de mes
appréhensions ! L’état de mon fils lui permettra-t-il toujours de soutenir
les exigences d’un rang si haut ? Que le Roi disparaisse et le train de
cette Princesse tourne infailliblement à la ruine de notre maison ! Je
l’ai osé dire à Sa Majesté, laquelle m’a répliqué : « Mais, Madame,
je ne suis ni vieil ni mal allant. Ne vous tourmentez pas du pensement de ma
mort plus que je ne fais moi-même. Au reste, je saurais pourvoir aux sûretés de
Monsieur votre fils en raison de l’extrême amitié que je lui porte et du fait
que je le tiens véritablement pour mon frère, l’ayant marié à la sœur de la
Reine. »
    — Madame, dis-je, d’aussi
fortes assurances, tombées d’une telle bouche, vous devraient mettre en
repos !
    — Ha mon cousin ! dit la
maréchale, ses beaux yeux mordorés se morfondant dans ses pleurs retenus,
hélas, rien n’y a fait ! Je suis plus que jamais dans mes agitations et
mes inquiétudes !
    Hélas pour moi aussi ! Je n’en
avais pas fini avec cette chanson-là et pendant un gros quart d’heure encore, M me de Joyeuse, sa grassouillette main posée sur mon bras, poursuivit ses
gémissements et ses lamentations, me laissant béant de cette angoisseuse
attente de l’avenir où la jetaient la puissance, la gloire et les richesses de
ses fils. Havre de grâce ! pensai-je, la pauvre n’est que peur ! Et
n’est-il pas étrange que cette archidévote qui tâche par ses continuelles
prières de se fortifier contre l’Enfer, craigne davantage encore l’écroulement
de ses terrestres fortunes ? L’une de ces deux craintes ne devrait-elle
pas l’autre annuler, au lieu qu’elles se cumulent en son for ?
     
     
    Lecteur, à ouïr les fâcheux, je mets
à l’accoutumée une douceur digne d’un saint papiste, et encore que l’appétit me
dévorât fort de laisser là cet entretien, ayant aperçu, entre tous ceux qui
étaient là, la chevelure rousse de Lady Stafford, laquelle je savais fort
assidue chez la maréchale, et la visitant quasiment tous les jours, partie par
amitié pour elle, partie aussi, à ce que je m’apensai, pour recueillir

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