Le Prince Que Voilà
fourreau, et criant en anglais pour qu’ils nous crussent
du même pays que le dépêché :
— Come here, goddam !
We shall kill you [23] !
À quoi Samarcas ne voulant pas, à ce
que j’opine, d’une émotion publique, les premiers passants commençant à
apparaître, jugea plus expédient de rappeler ses sbires et toquant au guichet
de l’abbaye, de se faire admettre avec eux derechef, derrière son huis.
Je commandai alors à Miroul de
ranger la coche entre l’Abbaye et l’Anglais, afin qu’elle fît rempart contre
quelque arquebusade qui nous prendrait pour cible du haut de ses murs et courus
au navré qui, à mon approche, ouvrit l’œil et esquissa un mouvement fort faible
pour se saisir de sa dague, cuidant sans doute que je le voulais achever. À quoi je dis :
— Do not move ! We are
friends. We shall take care of you [24] .
Ce qui le rassura assez pour qu’il
laissât Giacomi et Miroul le saisir, qui du pied, qui des épaules, et le hisser,
tout sanglant qu’il fût, sur la coche de ma pauvre Gertrude, où j’étais pour le
rejoindre quand le mendiant en grisâtres guenilles accroupi contre la muraille,
lequel de tout le duel n’avait ni branlé ni pipé, tendit la main hors ses
loques et dardant vers moi un œil perçant, marmonna :
— Un sol, un petit sol, pour
l’amour de Dieu !
Prière qui était tant humble que son
regard l’était peu. Je mis la main fort ostensiblement à mon escarcelle, et
vers lui me dirigeant, je lui mis une piécette dans les doigts.
— Monsieur, dit-il à voix fort
basse, gardez-vous de porter l’Anglais à son ambassade, ni d’y paraître
vous-même, ou aucun de vos gens. Nombre de mouches espagnoles volettent à
l’entour.
Langage qui me surprit fort par sa
poésie dans la bouche d’un espion, ne sachant point alors que ces métaphores
étaient d’usance quotidienne en le jargon de leur état. Étrange chose que cet
étonnement me fût passé en l’esprit de cette suavité d’expression, dans le
temps même où j’avais tant à réfléchir, à craindre et à résoudre.
Cependant, la coche rangée en mon
écurie, les chevaux dételés et le navré en sa couche, je le fis déshabiller et,
examinant sa plaie, je vis qu’elle n’était point si sévère que celle qui avait
mis le pauvre Sauveterre au tombeau, celle-là étant l’œuvre d’une balle de
pistole et celle-ci d’une épée qui n’avait point même percé le poumon de part
en part, encore qu’elle s’y fût enfoncée de deux bons pouces au moins. Mais
l’Anglais était jeune, de complexion robuste, sain et gaillard en toutes les parties
de son corps et à ce que je vis, fort désireux de vivre, n’étant nullement
impatient, comme mon oncle Sauveterre, de rejoindre les félicités éternelles.
Quoi voyant, je tâchai de le rassurer et lui dis en sa langue :
— Mon maître Ambroise Paré,
dont peut-être vous avez ouï, tient qu’une blessure au poumon se peut guérir et
curer pour peu que le patient se tienne en repos, sans parler, sans toussir, et
fuyant à se donner branle.
À quoi, d’un air fort obéissant,
l’Anglais qui se nommait Mundane battit du cil qu’il avait du plus beau roux
(ayant le cheveu et le poil de cette couleur et l’œil d’un bleu pâle) et je vis
bien à cette exemplaire docilité qu’il était, par la bonne heure de ces
patients qui aident le médecin au lieu d’aider la maladie. De quoi j’augurai
que pour peu que l’infection ne se mît pas dans sa navrure, il serait sur pied
dans un mois. Cependant, comme je m’allais retirer après avoir lavé et pansé sa
plaie, et lui baillant au départir un peu d’opium pour assouager son pâtiment,
il me dit d’une voix ténue et essoufflée :
— Sir, will you be so kind
as to tell my embassy of my predicament [25] ?
Je lui fis signe de la tête que oui,
encore que je ne susse guère alors comment m’y prendre pour ce faire, me
ramentevant la recommandation de la mouche. Et là-dessus musant et songeant, je
descendis de l’étage à ma cour et de là en mon écurie où je vis, dedans la
coche, Miroul, fort affairé à laver de ses mains les macules de sang qu’on y
voyait.
— Ha ! Mon Miroul !
dis-je, cela est fort bien ! Et mieux encore que tu le fasses toi-même, au
lieu que de confier cette tâche à l’indiscrétion d’une chambrière. Mais,
Miroul, cela ne suffit ! Il ne faudrait pas que cette coche puisse être
reconnue à sa couleur blanche par les gens
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