Le Prisonnier de Trafalgar
frégate, le Forth, venait en tête, suivie des deux Indiamen, le Mornington Castle et le City of Bombay, puis des douze transports et enfin de la Jenny. Le Valorous fermait la marche, restant au vent du convoi. L’autre frégate, la Fury, couvrait le flanc bâbord d’où pouvait éventuellement surgir le danger. La flotte française, bloquée dans les ports, sortait peu, mais des corsaires restaient à l’affût tout le long de la Manche, prêts à se jeter sur un navire marchand assez imprudent pour s’écarter du convoi.
Sous fraîche brise de nord-ouest, les plus gros bâtiments voguaient sous huniers, deux ris pris dans les basses voiles. Plus légère, la Jenny courait sous voiles aux trois quarts. Nathaniel Dickson, aidé de Bill Wayne, avait effectué la manœuvre avec rapidité et précision sous l’œil d’un Blore réduit au silence. Pour le moment, il se tenait à côté d’Hazembat, près de la barre, attentif et silencieux.
— D’où es-tu, aux Etats-Unis ? demanda Hazembat.
— De Philadelphie.
— J’ai vécu à Baltimore.
— Ce n’est pas pareil.
— Pourquoi t’es-tu engagé dans la marine anglaise ?
— Pour combattre le tyran.
— Napoléon ?
— Oui. C’est lui qui a rétabli l’esclavage dans les colonies françaises.
— Il y a aussi des esclaves en Amérique.
— Pas partout et il y a aussi beaucoup de gens qui sont contre l’esclavage.
— Tu crois que les Anglais se battent pour libérer les esclaves ?
Nathaniel lui lança un regard étrange.
— Je le croyais, mais ils sont quelquefois pires que les Français. Pour eux, nous autres, Américains, nous sommes toujours des coloniaux, bons à être exploités. Ils arraisonnent nos navires comme si nous étions des pirates.
— Alors pourquoi ne quittes-tu pas la marine anglaise ?
— Tant que je serai avec le capitaine Holloway, je lui resterai fidèle.
En lui passant la barre, Hazembat lui dit :
— Tu peux m’appeler Hazy.
— Appelle-moi Nat.
Le soir, les Indiamen réduisaient la voile pour le confort de leurs passagers. Cela aurait dû permettre aux navires du convoi de rester groupés, mais les capitaines des transports étaient d’une inconcevable indiscipline. Dès le premier matin, ils se trouvèrent dispersés sur plus de vingt lieues carrées de mer. Les frégates, comme des chiens de berger, partirent pour les rameuter. Le Valorous multipliait les signaux ponctués par des coups de canon. Ils étaient répétés par le Mornington Castle, agissant comme commodore du convoi, mais on eût dit que les transports n’avaient à bord ni télescope ni livre de code. Il fallut près de deux heures pour remettre le convoi en un ordre acceptable.
Hazembat calcula qu’à ce train on ne pouvait guère escompter couvrir plus d’une centaine de milles par jour. De plus, quand on approcherait des côtes du Cotentin et de Bretagne, les navires écartés seraient des proies tentantes pour les corsaires sortis de Cherbourg ou de Brest.
Le danger devint plus évident encore quand, l’après-midi du deuxième jour, le vent tourna plein est, amenant un air froid qui fit lever sur la mer une brume légère mais suffisante pour limiter la visibilité à deux milles à peine. Le matin du troisième jour, le soleil levant noya cette brume dans un éblouissement d’argent d’où pouvaient surgir à tout moment des assaillants avec un vent favorable.
Comme le jour précédent, mais avec beaucoup plus de difficulté, les frégates durent manœuvrer longuement pour rassembler le troupeau rétif. Le Valorous, toutes voiles dehors, changeant de bord au plus près serré, remonta par bâbord pour venir se placer entre le convoi et la côte française, tandis que la Fury allait chercher deux traînards perdus à près de deux milles au nord-est.
C’est alors que Nat, qui était monté au grand mât, signala trois voiles par un quart bâbord avant, faisant route vers le convoi. Poussées par le vent qui fraîchissait, elles furent rapidement visibles du pont. C’étaient des brigantins comme celui qui avait coulé le Charon. Les vigies du Valorous devaient les avoir depuis longtemps aperçus, car une volée de pavillons monta à la corne d’artimon. Aussitôt, le Forth vira de bord et, changeant d’amures, fit route pour intercepter les nouveaux venus.
Voguant de conserve, les trois brigantins se dirigeaient vers les
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