Le Prisonnier de Trafalgar
Indiamen, il lui faudrait au moins une minute pour franchir la zone dangereuse. Or le City of Bombay franchirait la distance qui le séparait du Mornington Castle en à peine plus d’une minute. Ce serait une question de secondes. Les chiffres s’embrouillaient et, à force de fixer les mâts du Valorous, ses yeux s’emplissaient de larmes.
— Gosh, he’s made it ! il y est arrivé ! dit la voix tranquille de Nat.
En effet, le Valorous était maintenant par tribord du convoi, directement dans la poupe du Français. Un grondement indiqua qu’il avait tiré une salve de ses pièces d’avant, mais le corsaire, pris par surprise, devait avoir été moins touché que le Korrigan ,’ car ses mâts restaient debout. Coupant ses filins, il mit toute la voile et commença à s’écarter de l’ Indiaman. Le capitaine devait être un fin marin et un homme de sang-froid, car, au lieu de s’enfuir sous le vent, ce qui l’aurait placé sous le feu des batteries du Valorous, il préféra subir une deuxième salve des canons de proue à laquelle il répondit avec ses pièces de retraite, et, gagnant de vitesse sur le Mornington Castle, alla virer de bord sous son beaupré, ce qui constituait une prouesse de navigation au moins égale à celle de Stephen. Puis il s’éloigna est-nord-est pour rejoindre son compagnon qui avait rompu le combat avec la Fury et cinglait vers la côte française.
Cependant, la lutte faisait rage sur le Korrigan, une moitié de son équipage essayant de se rendre maître du transport tandis que l’autre moitié tentait de repousser les abordeurs du Forth. Démâté, dévasté, coincé entre sa prise et la frégate, le corsaire n’avait plus aucune chance. Pourtant, le pavillon tricolore flottait toujours à la corne d’artimon. Le crépitement de la mousqueterie était ininterrompu et l’on entendait même cliqueter sabres et piques dans le corps à corps acharné qui se déroulait devant la dunette.
Soudain, le capitaine fit un grand geste de son épée et les Français parurent rompre le combat. Par grappes, ils se jetaient à l’eau, certains nageant, d’autres agrippés à des espars flottants, mais tous essayant frénétiquement de s’éloigner du navire. Hazembat comprit aussitôt ce qui allait se passer.
— Nat ! cria-t-il, la barre sous le vent, toute ! Les autres, dégagez les voiles vivement, à naviguer vent arrière !
Rapidement, la Jenny pivota sur l’eau et prit de la distance. Le capitaine du Forth avait dû comprendre aussi, car ses marins se repliaient à bord et des hommes armés de haches s’évertuaient à trancher les câbles qui l’arrimaient au Korrigan. Il déborda en hâte et se trouvait à deux encablures quand le Korrigan explosa d’un coup, avec un lourd grondement. De hautes flammes s’élevèrent et le feu gagna aussitôt le transport dont l’équipage sautait à la mer à son tour. L’explosion souleva une lame de dix pieds qui prit la Jenny par l’arrière. Elle piqua dans la plume, puis se redressa.
— Garde ton cap, Nat ! cria Hazembat.
Ils étaient à un demi-mille quand l’enfer se déchaîna. Le transport devait être chargé de munitions. Il y eut un éclair d’un orange éblouissant. Trois secondes plus tard, un souffle d’ouragan arracha les voiles dans un fracas de fin de monde, puis, avec une lenteur mortelle, une muraille d’eau noire couronnée d’écume arriva par l’arrière tandis que des débris tombaient de toutes parts. Empoignant Jenny par les épaules, Hazembat la fit s’étaler sur le pont et se jeta sur elle, les mains cramponnées aux filets de bastingage et les pieds calés contre la hiloire de l’écoutille.
La gifle de l’eau croulant sur le pont noyé lui coupa le souffle. Il lui sembla que la Jenny coulait à pic, puis, dans un énorme ruissellement, il sentit la proue qui se relevait. D’autres lames arrivaient, moins fortes que la première, mais suffisantes pour tout balayer sur leur passage. Longtemps après, levant la tête, il aperçut Nat qui s’ébrouait, hâtivement encordé à la barre. Un peu plus loin, Bill Wayne, inconscient, était coincé contre le grand mât. Des autres hommes, il n’y avait pas trace. Il se releva, inquiet pour Jenny. Etendue sur le ventre, elle hoquetait faiblement. Il la retourna et elle ouvrit les yeux.
— I’ ll be all right, Hazy, souffla-t-elle, ça ira.
Il songea alors aux autres passagères dans le poste
Weitere Kostenlose Bücher