Le Prisonnier de Trafalgar

l’infini.  
    O’Quin l’observait à travers ses lunettes.  
    — Tu n’as pas envie de le connaître ?  
    — Qui ça ?  
    — Eh bien, le fils de ton… filleul. Elle me dit qu’il s’appelle Bernard lui aussi. Tu sais, il ne manque pas de navires qui touchent à la Guadeloupe.  
    — Pas les couraus de la Garonne.  
    Comme Hazembat allait prendre congé, O’Quin ajouta :  
    — J’ai une autre nouvelle pour toi. Stephen Holloway, qui a pris sa retraite comme vice-amiral, est en train de voyager sur le continent avec sa femme. Ils passeront à Bordeaux au début d’août et comptent bien aller te faire une petite visite à Langon.  
    Hazembat rentra rue Saint-Gervais, l’esprit plein de sentiments confus et contradictoires, mais, dès son arrivée, il eut d’autres préoccupations. Pouriquète avait été prise de violents maux de tête et d’estomac, accompagnés de vomissements et de syncopes. Le jeune Dr Théry, qu’on avait fait venir, était réticent. Il prescrivit un régime exclusivement lacté.  
    L’état de Pouriquète parut s’améliorer, puis empira de nouveau. Elle ne quittait pratiquement plus son lit.  
    Hazembat avait laissé le commandement de l’ Aurore à Caprouil pour rester auprès d’elle.  
    Il y eut une légère amélioration à la mi-juin quand Lanusquet fit une rapide visite à Langon pour annoncer le lancement prochain de la Garonne qui serait le premier bateau à vapeur sur le fleuve :  
    — Quatre-vingt-deux tonneaux, soixante-quinze pieds de long, trois pieds de tirant d’eau et une machine de vingt-quatre chevaux ! Les couraus pourront s’aligner !  
    On but à la Garonne, et Pouriquète, qui s’était levée pour l’occasion, trempa ses lèvres dans un verre de barsac. La voyant pour la première fois depuis longtemps hors de son lit, Hazembat fut terrifié par son changement d’apparence. Au-dessus du ventre énorme, le buste menu paraissait s’effacer presque complètement et le visage cireux était devenu d’une maigreur squelettique. Seuls, les yeux, démesurément agrandis, gardaient leur vivacité.  
    Au cours du mois de juillet, les symptômes s’accentuèrent. Pouriquète ne pouvait même pas garder les laitages qu’on lui donnait et qu’il fallait lui faire prendre à la cuiller. Le Dr T héry venait tous les jours.  
    — Je crains l’éclampsie, finit-il par dire à Hazembat.  
    — C’est grave ?  
    — Je ne vous mentirai pas : l’enfant en réchappe deux fois sur trois et la mère une fois.  
    La poste du 30 juillet apporta une lettre d’O’Quin annonçant la visite des Holloway pour la semaine suivante.  
    Le travail commença le surlendemain dans la soirée. Le Dr Théry insista pour être présent à l’accouchement, ce qui provoqua une violente colère de la veuve Mouchot, mais le médecin tint bon.  
    Cela dura toute la nuit. A l’aube, un vagissement éveilla Hazembat qui somnolait sur une chaise. Le docteur sortit de la chambre, les traits tirés.  
    — C’est une fille, dit-il, et elle vivra.  
    — Et ma femme ?  
    Le docteur fit un geste d’impuissance.  
    — Elle vit pour le moment, mais sa résistance est très amoindrie. Elle est à la merci d’une convulsion. Si elle en a, il faudra lui faire respirer de l’éther. J’ai prescrit des lavements à base d’opiats.  
    Pouriquète dormait, respirant faiblement, le souffle court. Elle ne réagit pas quand Bernard posa un baiser sur son front. Puis il regarda l’enfant que lui présentait Janote. Avec un coup au cœur, il vit qu’elle ressemblait à sa mère. Contrairement à sa sœur, elle avait, en naissant, le teint crémeux et les traits délicatement formés de Pouriquète.  
    — Ce sera une autre Jeanne, dit Janote. Lanusquet est son parrain et c’est un Jean.  
    Pouriquète eut plusieurs convulsions pendant la journée. Elle s’arc-boutait, les dents serrées, les yeux révulsés, poussant des cris étranglés, puis, sous l’effet de l’éther, tombait dans une profonde torpeur. La nuit suivante fut plus calme. Au matin, Pouriquète parvint même à donner le sein à l’enfant. Puis les symptômes reprirent. Le médecin passa l’examiner. Il ne dit rien mais, quand ses yeux croisèrent ceux d’Hazembat, ils se détournèrent.  
    Pendant les deux jours qui suivirent, il y eut des accalmies et Hazembat se prenait à espérer, puis les convulsions revenaient, de plus en plus fortes.  
    C’est pendant