Le Prisonnier de Trafalgar
la mer… 92 mois et 8 jours… Prisonnier de guerre… 101 mois et 19 jours… D’accord ?
— Puisque vous le dites…
Le premier maître transcrivit les chiffres sur un bordereau, le signa, y apposa un tampon et le tendit à Hazembat.
— Voilà ton extrait de matricule : Azembat Bernard, matelot de l re classe… Tu es en règle, l’ami.
Avant de rejoindre l’ Aurore, Hazembat, à Tout hasard, passa par la boutique de librairie d’O’Quin. L’ancien citoyen Coquin était là, vieilli, mais toujours élégant. Il portait au revers une discrète cocarde blanche. Il fit fête à Hazembat.
— J’ai su par Dalrymple que tu étais vivant et de retour au pays, dit-il. Maintenant, je suppose que tu vas te remettre à naviguer. Le négoce reprend.
— Naviguer oui, mais sur la Garonne. Je vais me marier à Langon.
— Ta bien-aimée t’a attendu tout ce temps ?
— Oui… elle m’a attendu. O’Quin hocha la tête.
— Un marin comme toi n’aurait pas de mal à trouver un embarquement de lieutenant au commerce. Je doute que tu résistes à la tentation. Reviens me voir, nous en reparlerons.
A l’auberge de Tastet, maintenant tenue par le fils, boulanger de son état, Hazembat eut la surprise de rencontrer Nat. L’Américain était à Bordeaux depuis un an. Il avait trouvé du travail dans le port, mais, maintenant que les Anglais étaient là, il préférait prendre le large. La guerre entre les Etats-Unis et l’Angleterre n’était pas terminée. On lui avait offert un embarquement sur un navire hollandais à destination de Saint-Domingue et Cuba et il devait appareiller la semaine suivante. Hazembat sentit comme une pointe d’envie. Un instant, il eut la nostalgie des alizés et des plages étincelantes, bordées de cocotiers sombres sur le ciel lumineux. Puis il songea à Pouriquète et la paix, de nouveau, emplit son cœur.
Le lendemain de son retour à Langon, Maître Lafargue les reçut tous deux. Il avait pris de l’embonpoint et la pratique de son métier lui avait donné un visage impénétrable, mais il n’y avait pas à se tromper sur la cordialité de son accueil.
— Ainsi, dit-il à Hazembat, tu n’as connu que la première année de cette longue agonie de la Révolution qu’a été l’Empire ? Tes illusions sont intactes, car tu es toujours républicain, je suppose ?
— Je suis pour la liberté, l’égalité et la fraternité, maître.
— Oui, ce sont des vertus que notre république a fort maladroitement pratiquées. Il lui en a coûté bien des malheurs. Mais il est des espérances qui sont indestructibles. Tôt ou tard, avec un roi ou sans roi, les aspirations que nous avons vu naître en 1789 se réveilleront.
On en vint à l’affaire. Maître Lafargue joignit pensivement les bouts de ses doigts devant sa bouche et écouta avec attention. Quand Hazembat eut terminé, il réfléchit un instant et dit :
— Si je comprends bien, tu n’as aucune prétention sur les biens qui ont été dévolus à Marie Dubernet du fait de son mariage avec Jean Rapin et tu entends en laisser l’entier bénéfice à l’enfant qui est né de ce mariage ?
— C’est cela, maître.
— En ce cas, rien de plus facile. Il faut que Marie Dubernet, en tant que tutrice légale de l’enfant, convoque un conseil de famille qui nommera un subrogé tuteur.
— Mais Pierre restera mon fils ? demanda Pouriquète.
— Bien sûr et vous resterez sa tutrice légale, mais le subrogé tuteur garantira ses droits. Si Hazembat vous épouse, il pourra même être désigné comme cotuteur, pourvu qu’il accepte.
— J’accepte, maître.
— Bien. Il va falloir donc constituer le conseil de famille. Cela peut prendre un certain temps.
Cela prit jusqu’à l’automne. Le 31 octobre enfin, le conseil de famille comparut devant le juge de paix. Il comprenait Pierre Rapin, dit Perrot, aïeul de l’enfant, ses oncles paternels, tous deux Jean Rapin, l’un, Pishehaut, libéré par la marine au cours de l’été, l’autre, Cametorte, qui, après avoir travaillé à Toulenne chez Pierre Escarpit, le scieur de long, s’était établi comme artisan charron, son oncle maternel, Vital Dubernet, dit Capsus, libéré par la marine comme premier maître, son oncle maternel par alliance, Louis Castaing, dit Castagnot, libéré par la marine comme lieutenant de frégate, et son cousin Jean Poudio, dit Mingehort,
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