Le Prisonnier de Trafalgar
dit-il en se retournant vers Pouriquète, Courneau t’envoie ces cerises. Ce sont les dernières de l’année.
— Des cerises en août ? s’écria Castagne. Avec les Anglais qui sont passés ce matin, ça fait beaucoup de rouge ! Per los Inglés aus cerises : ce sera son signe de naissance !
— Nous l’appellerons Jeanne, puisque je suis sa marraine, dit Janote, mais ce sera Hazembate, comme notre mère.
A l’automne, le trafic reprit sur la rivière. La petite Hazembate prospérait et Pierre semblait s’être attaché à elle. Pouriquète, en revanche, avait du mal à se remettre de ses couches. Janote et Castagne ne suffisaient plus au travail.
Un jour, à Bordeaux, devant l’Hôtel des Douanes, Hazembat vit une calèche s’arrêter et en descendre un homme qui se dirigea vers lui, les bras tendus. Il portait une redingote cintrée et un haut chapeau à la nouvelle mode, plus large au sommet qu’à la base.
— Je ne me trompe pas ! C’est toi, Bernard ? Mon beau-père m’avait dit que tu étais rentré sain et sauf !
C’est au regard brun et vif qu’Hazembat reconnut Jean Dumeau, dit Lanusquet, qui avait navigué autrefois avec lui sur la Garonne et dont la passion était la mécanique. Ils s’étreignirent longuement, puis Lanusquet entraîna Hazembat vers un café de la rue des Piliers-de-Tutelle.
— Ainsi, dit-il quand ils furent attablés devant deux mokas, tu as fini par épouser ta Pouriquète ! Tu as même une fille qui a à peu près le même âge que mon fils Vital.
— Tu es marié toi aussi ?
— Oui, bien sûr, avec Françoise Despujols, celle qu’on disait Périssète. Nous avons un autre fils, Amand, qui a maintenant près de cinq ans !
— Je crois me souvenir que ton père n’était pas tellement d’accord.
— Le pauvre vient de mourir. Il nous a fait attendre jusqu’à 1808 pour donner son consentement et ensuite il a légué toute son entreprise de transport à mon frère aîné, Pierre.
— Tu n’as pas l’air de trop mal t’en tirer !
— Je suis dans la construction navale, mais la nouvelle : nous fabriquons des bateaux à vapeur.
— A vapeur ? Tu veux dire en allumant du feu à bord pour faire chauffer de l’eau ? Mais ils vont brûler, tes bateaux !
— Pas si on utilise le fer. Il y a longtemps que les Américains font naviguer des steamboats sur le Mississippi. Tu ne te souviens pas ? La dernière fois que nous nous sommes vus, en 1801, je t’avais parlé de l’ingénieur américain Fulton…
— Celui qui avait inventé un bateau pour aller sous l’eau ?
— Oui. En 1803, il a fait naviguer un bateau à vapeur sur la Seine, mais Bonaparte n’y a pas cru. Fulton est reparti pour l’Amérique. C’est le consul américain de Brest qui détient le brevet. Il s’est associé avec tout le gros négoce bordelais, les Balguerie-Stuttenberg, les Guestier, les Johnston, les Sarget, les Portai, les Chaigneau, pour l’exploiter sur la Garonne. En ce moment, on construit le premier bateau à vapeur aux chantiers Chaigneau et Bignon où je suis ingénieur.
— Ça doit te faire beaucoup de travail.
— Oui, beaucoup, et je n’ai guère le temps de m’occuper de ma famille. Périssète va rentrer à Langon avec les enfants. Elle cherche un travail pour s’occuper. Tu sais, mes beaux-parents vieillissent et ils sont petitement logés.
Hazembat réfléchit un moment.
— Tu crois que ça lui dirait d’aider chez nous, à la boutique ? La maison est grande. Si Pouriquète est d’accord, elle pourrait y habiter.
— Je lui en parlerai et je suis certain que rien ne pourrait lui faire plus de plaisir. Mais toi-même, Bernard, tu ne vas pas te faire marchand ?
— Tant qu’il y aura une voile sur la Garonne, je continuerai à naviguer.
Françoise Dumeau vint s’installer rue Saint-Gervais en mars 1816 et la maison, comme autrefois, s’emplit de cris et de rires d’enfants. Louis et Jeanne Castaing, Pierre Rapin et Amand Dumeau s’entendaient bien. Ils fréquentaient tous la petite école qu’avait ouverte l’abbé Lafargue dans les communs de l’ancien couvent des Ursulines. Les petits, Hazembate et Vital, apprenaient à marcher ensemble dans le grand jardin, derrière la maison, où autrefois Pouriquète et Hazembat jouaient avec les enfants Rapin et Dubernet à reconstituer la fameuse bataille de Chesapeake.
S’écoulèrent
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