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Le Prisonnier de Trafalgar

Le Prisonnier de Trafalgar

Titel: Le Prisonnier de Trafalgar Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Escarpit
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étrangères. Il se demanda s’il était mort et si c’était son âme qui s’attardait encore autour de sa dépouille.  
    Il fut détrompé quand il voulut lever le bras. Les muscles n’obéirent pas, mais la seule intention de remuer éveilla dans tous ses nerfs une lancée si fulgurante qu’il sut qu’il était vivant et bien éveillé.  
    Peu à peu, ses sens recommencèrent à envoyer des messages à son cerveau embrumé. Ce furent d’abord les yeux. Très haut au-dessus de lui, il distinguait un gréement de vergue, voile carguée, se détachant sur un ciel gris où planait une mouette. Des ombres rapides cachaient par instants la lumière et il lui fallut longtemps pour comprendre que c’étaient des hommes qui l’enjambaient en courant.  
    Puis les bruits naquirent, des piétinements sourds d’abord, dont les planches du pont lui renvoyaient douloureusement les vibrations. Ensuite, ce furent les cliquetis, les coups, les détonations et enfin les voix. Sa conscience vacilla un bref instant quand il entra dans le vacarme. Il sut alors qui il était et où il était. L’image du canon pointé sur lui et vomissant sa flamme orange explosa dans sa mémoire et oblitéra un instant le bruit du combat.  
    On se battait encore, mais trop loin de lui pour qu’il pût comprendre ce qui se passait. Pourtant il lui semblait que la mêlée s’était déplacée du pont du Tonnant à celui de l’ Algésiras. De temps en temps, un cri, un commandement lui parvenaient, forts et distincts au-dessus du tumulte.  
    Autour de lui, il prit conscience de corps étendus, disloqués, broyés, mutilés, et il se voyait lui-même comme un de ces cadavres pitoyables. Il se prit à évaluer l’angle du soleil dans les vergues. Il devait être trois ou quatre heures. Le combat avait commencé à midi. Dans trois ou quatre heures, il ferait nuit.  
    Un cri jaillit soudain, suivi d’une longue acclamation :  
    —  She’s struck !  
    Très lucide, il raisonna avec lui-même pour comprendre que, si le cri était en anglais, cela voulait dire que c’était l’ Algésiras qui avait amené ses couleurs. Il se dit avec détachement que la bataille était perdue pour lui, mais il n’avait aucune idée de ce qui se passait ailleurs. Il en éprouvait une profonde indifférence, comme si son esprit, séparé de son corps, avait perdu tout lien avec le monde.  
    Les roulements des canons durèrent longtemps encore, de plus en plus lointains, de plus en plus espacés. Le ciel changea, se chargeant de nuages bas qui fuyaient devant le soleil couchant, puis le vent fraîchit comme la nuit tombait et le Tonnant se mit à tanguer et à rouler sous des rafales de plus en plus fortes. Hazembat entendit qu’on donnait l’ordre de faire route sud-sud-ouest avec deux ris pris dans les huniers.  
    Il faisait tout à fait nuit sur le pont balayé par le vent et les embruns quand il devina un remue-ménage dont il ne connaissait que trop bien la nature. Des équipes relevaient les cadavres et les balançaient par-dessus bord. Un officier devait dire une prière ou deux pour les Anglais. Les autres étaient jetés à la mer sans autre forme d’obsèques.  
    Des pieds chaussés de bottes pataugèrent dans la boue de sang autour de lui. Deux bras le prirent aux épaules et deux aux jambes. La douleur fut si violente que son esprit réintégra instantanément son corps et qu’il se prit à croasser d’une voix rauque :  
    —  Bugger your arse, bloody bastard ! I aint dead yet ! Surpris, les deux marins le laissèrent retomber.  
    —  This one seems alive, sir, dit celui qui était aux pieds. Looks like a Froggie, sir. Speaks english, though, he dœs !  
    Une silhouette embicornée se pencha vers lui.  
    — Oui, il a l’air encore en vie et au moins il sait jurer en anglais. Descendez-le au faux pont, chez le chirurgien.  
    —  Aye, aye, sir !  
    Dès que les marins le soulevèrent, Hazembat se mit à hurler et à jurer en anglais, en espagnol, en français et en gascon. Puis la souffrance fut plus forte et il s’évanouit.  
    Il revint à lui dans l’ombre du faux pont où les cris et les gémissements se mêlaient aux craquements de la coque secouée par la tempête. Une lanterne éclairait un visage barbu qui le considérait avec de gros yeux de caniche injectés de sang. Un rai de lumière soulignait des traits affaissés d’alcoolique, mais la voix qui lui parvint était étonnamment douce.  
    — 

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