Le Prisonnier de Trafalgar
Howdy, sailor ? Feeling better ?
— F… fine, sir.
— Tu as eu de la chance. Le boulet qui t’était destiné à dû heurter un espar ou un filin. Il a éclaté en mille morceaux. J’en ai retiré une douzaine de ta poitrine, de tes bras et de tes joues. C’est le souffle surtout qui t’a assommé. Dis-moi, comment se fait-il que tu parles anglais ?
— J’ai servi sur un navire américain, sir.
— J’aime mieux ça. On se demandait si tu n’étais pas un déserteur. Ça m’aurait ennuyé de te remettre sur pied juste pour te permettre de te balancer au bout d’une corde. Remarque que, prisonnier de guerre, ça ne vaut guère mieux.
— Il y a d’autres prisonniers ?
— Une demi-douzaine. On les a transbordés sur un navire qui fait route vers l’Angleterre. Nous, nous allons à Gibraltar.
— Il y avait un officier parmi eux ?
— Oui. Il était blessé à la cuisse. Je lui ai fait un pansement.
— Vous connaissez son nom ?
— Il me l’a dit. Quelque chose comme… Pigash…
— Le lieutenant Pigache ! Il sait que je suis vivant ?
— Non. Nous avions d’autres chats à fouetter.
— Et la bataille, sir ? Qui a gagné ?
— C’est difficile à dire. Nelson a été tué. Ce qui est certain, c’est que Villeneuve a perdu : il n’y a plus de flotte française pour menacer la Manche.
A Gibraltar, la casemate où Hazembat se trouva logé était étroite et encombrée, mais relativement propre. Il lui fallut plus de quinze jours pour recouvrer l’usage de ses membres, mais, à partir de ce moment, sa guérison alla très vite.
Le chirurgien du Tonnant, qui l’avait pris en amitié, venait parfois le voir. C’était un Ecossais du nom de Mac Leod. Au cours de ses longues années de navigation, il avait acquis un goût immodéré pour le porto qu’il considérait comme un remède souverain « against all the infirrmities of human naturre » , disait-il en roulant les r à la manière de son pays. Il apportait chaque fois un flacon.
— This is an occasion to celebrrate ! Ce n’est pas tous les jours qu’un médecin a la chance de guérir un homme qui a reçu un coup de canon à bout portant !
C’est par lui qu’Hazembat apprit le dénouement du combat de Trafalgar. Outre Nelson tué, les Anglais avaient perdu la moitié de leurs navires et pas une prise française ou espagnole n’avait pu être ramenée en Angleterre, soit que les navires aient été drossés à la côte, soit qu’ils aient été coulés volontairement.
— Quant à ton Algésiras, tu peux en être fier : l’équipage prisonnier s’est révolté à la faveur de la tempête et a ramené le navire, pavillon haut, en rade de Cadix.
Ainsi, à supposer qu’ils aient survécu à leurs blessures, Leblond-Plassan et Jantet étaient libres. Hazembat en éprouva à la fois une immense joie et une profonde tristesse. La joie était pour l’amitié, la tristesse pour la solitude. Personne ne savait où il se trouvait, ni même qu’il était vivant. On annoncerait sa mort à ses parents, à Pouriquète. Et la longue captivité qui l’attendait valait-elle mieux que la mort ? Quelques semaines plus tôt, quand l’escadre de Villeneuve rentrait des Antilles, il pouvait encore se bercer de l’illusion d’une issue rapide de la guerre. Maintenant s’étendait devant lui la perspective grise et morne d’une attente indéfinie. Mac Leod lui avait parlé d’une grande victoire de Napoléon en Autriche. Le conquérant avait donc renoncé à l’invasion de l’Angleterre. Il tournait le dos à la mer où était son seul espoir de victoire.
Il ne ressentait pas de haine pour Napoléon, mais une sorte de mépris, celui du marin pour le soldat. Il était déjà odieux qu’il eût tiré profit de sa gloire militaire pour confisquer la République, mais qu’il abandonnât la marine, ses dizaines de milliers de morts, ses actes d’héroïsme obscurs dans la nuit et la tempête et surtout l’interminable souffrance qu’il en avait coûté pour donner de vrais équipages à la jeune nation, c’était révoltant. Combien de matelots prisonniers avaient croupi dans les pontons de Plymouth ou de Portsmouth depuis treize ans que durait la guerre ? Il est vrai que peu d’entre eux survivaient plus de quelques mois.
C’est là qu’il irait croupir à son tour. Mais il voulait vivre. Tout en lui refusait l’idée
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