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Le Prisonnier de Trafalgar

Le Prisonnier de Trafalgar

Titel: Le Prisonnier de Trafalgar Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Escarpit
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grade de post-captain, il nourrissait une hargne amère envers tous les officiers de la Royal Navy plus jeunes que lui.  
    Le marine s’appelait Dick Smithson, surnommé Smithy, et il avait fait campagne aux Antilles, ce qui lui procurait de nombreux sujets de conversation avec Hazembat. Méthodiste convaincu, Smithy était un fervent partisan de l’abolition de l’esclavage et ne cachait pas sa sympathie pour la Révolution française qui, la première, avait tenté de la mettre en application. Hazembat lui traduisit ce dont il se souvenait de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et Smithy lui cita un certain nombre de passages des Ecritures qui allaient dans le même sens.  
    Mais, autant il admirait la Révolution, du moins à ses débuts, autant il abominait Bonaparte dont un des moindres crimes, à ses yeux, n’avait pas été de signer un concordat avec le pape de Rome, incarnation de la tyrannie et du péché.  
    Ces conversations avaient lieu par bribes, quand le tour de garde de Smithy coïncidait avec le tour de promenade d’Hazembat. Le dimanche, pourtant, les prisonniers qui en faisaient la demande étaient admis à suivre le service religieux de l’équipage. Sur la suggestion de Smithy, Hazembat fut un des rares à faire cette requête. Les choses se déroulaient à peu près comme sur l ’Abigail : un officier, parfois le commandant Bentley en personne, lisait quelques versets de la Bible, puis on entonnait un hymne. Toujours aussi sourd à la musique, Hazembat, qui connaissait quelques-uns des airs, essayait de suivre la voix étonnamment mélodieuse de Smithy. Ensuite, et c’était de loin la partie la plus importante de la cérémonie, on donnait lecture des Articles of War, c’est-à-dire du code disciplinaire de la marine anglaise. Il semblait que chaque paragraphe énumérant les fautes que pouvait commettre un matelot se terminât par «  shall suffer death » , c’est-à-dire « sera puni de la peine de mort ». Quand c’était le commandant Bentley qui lisait, il s’attardait avec une délectation évidente sur ces quelques mots sinistres.  
    Après cette lecture accablante, il y avait quelques instants de détente pendant lesquels la conversation était plus facile. Nettement plus jeune qu’Hazembat, Smithy était le fils d’un petit fermier du Yorkshire et il s’était engagé parce que la ferme n’arrivait plus à faire vivre les six garçons de la famille. Contrairement à la plupart de ses camarades, il savait lire et écrire. Un prêcheur wesleyen lui avait même donné un livre du grand poète Milton. Il le gardait toujours dans son fardage avec l a Bible et en savait par cœur de longs passages qu’il récitait à mi-voix dans le vent, tandis qu’Hazembat, accoudé au pavois, regardait la rade encombrée dans l’ombre du Roc.  
    Au loin, de l’autre côté de la rade, c’était Algésiras, mais, tout près, on voyait les navires espagnols mouillés devant La Linea. Bien des prisonniers, sans doute, avaient, comme Hazembat, essayé d’évaluer le temps qu’il faudrait pour franchir à la nage ces deux ou trois milles qui les séparaient de la liberté. Mais Smithy lui avait ôté ses illusions.  
    — Il y a des canots de garde qui patrouillent nuit et jour. De toute façon, le courant serait contre toi. Il est arrivé que les Espagnols essaient de faire dériver des brûlots jusqu’ici. Maintenant, il y a des chaînes et des câbles qui barrent la route.  
    Vint enfin un jour où le Charon fut sans doute considéré comme suffisamment chargé pour justifier la traversée, à moins qu’un convoi ne fût en formation. Smithy n’en savait rien. Toujours est-il que, ce jour-là, Hazembat, au cours de la promenade matinale, observa l’agitation qui régnait à bord d’un navire juste avant l’appareillage. A grands coups de gueule, Langley envoyait, les quelque cinquante hommes de l’équipage vérifier les manœuvres, assurer l’amarrage des hautes cargues, raidir l’arrimage des pièces de 9, quatre par bord, disposées à barbiche sur le pont.  
    Dans la soirée, sifflets et tambours annoncèrent l’arrivée du commandant à bord et, à l’aube, des cliquetis de guindeau et des piétinements rythmés indiquèrent qu’on levait l’ancre.  
    La promenade eut lieu un peu plus tard que d’habitude. Le navire avait déjà pris le large et, par le travers tribord, Hazembat aperçut à deux ou trois milles le roc de Gibraltar.

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