Le Prisonnier de Trafalgar
matinée du 20, au moment où l’ Achille, qui était en tête, signalait dix-huit voiles anglaises par sud un quart sud-ouest.
Non sans mal, Villeneuve fit former son escadre de quarante voiles en trois colonnes et, toute la journée, on fit route à faible allure vers Gibraltar. Pendant la nuit, le vent sauta ouest-nord-ouest et, après quelques grains violents, mollit de nouveau. Des feux de bengale s’allumèrent à l’horizon, le long de la côte. Le 21, à six heures et demie du matin, Villeneuve signala : « Ordre de bataille naturel. Tribord amures. »
L’escadre s’était dispersée pendant la nuit, et la ligne, disloquée à l’arrière, s’étendait en désordre sur plus de six milles. C’est alors que Villeneuve signala de virer lof pour lof tous à la fois.
L’Algésiras se trouvait désormais à l’arrière-garde sous sa plus mauvaise allure, ne filant pas plus de deux nœuds, malgré les efforts de Leblond-Plassan et d’Hazembat pour maintenir la voile au plus près. A l’aplomb du cap Trafalgar, les vigies signalèrent trente-cinq voiles anglaises par trois quarts bâbord avant. Elles furent bientôt visibles du pont.
L’amiral Magon et le commandant Le Tourneur, tous deux en grand uniforme, observaient l’ennemi au télescope.
Hazembat alla rejoindre Leblond-Plassan qui, lui aussi, avait l’œil au télescope.
— Je reconnais le Royal Sovereign, dit-il. C’est leur meilleur marcheur, mais la marque de Nelson est sur le Victory, plus au nord. Je me demande ce qu’il a en tête. Il ne devrait pas tarder à virer pour venir parallèlement à nous.
Quelques instants plus tard, Le Tourneur fit rassembler l’état-major et la maistrance devant la dunette. Ce fut Magon qui parla.
— Selon toute apparence, dit-il, l’ennemi ne nous attaquera pas en ligne, mais sur deux colonnes qui tenteront de disloquer notre formation. Il y a donc des chances pour que nous soyons laissés à notre propre initiative. Etant donné notre faiblesse en canonnage, nous devons chercher le combat rapproché et, si possible, l’abordage. Au corps à corps, nous retrouvons toutes nos chances : le sabre ou la hache à la main, un Français ou un Espagnol vaut bien deux Goddem ! Aussi, vous allez veiller à ce que tous les hommes soient dès maintenant armés et à ce que toutes les divisions d’assaut soient en alerte.
Hazembat savait ce que cela voulait dire. Il avait, sous les ordres de Leblond-Plassan, la responsabilité d’une division de cinquante gabiers qui devaient se rassembler au signal et monter à l’abordage. Il se mit aussitôt en quête de ses hommes pour leur distribuer les armes.
A onze heures et demie, le Victory, qui n’était plus qu’à quelques encablures du Bucentaure, se couvrit soudain de pavillons multicolores. Aussitôt, tous les navires de l’escadre anglaise arborèrent le même signal.
— Je ne comprends que les dix derniers pavillons, dit Leblond-Plassan, l’œil au télescope. Ce sont des signaux alphabétiques. Je lis DUTY.
— Il doit leur demander de faire leur devoir, dit Hazembat. Nous ferons le nôtre.
En réponse, l’escadre franco-espagnole hissa les pavillons nationaux. C’était le tricolore pour l’ Algésiras, mais Le Tourneur eut à cœur de faire hisser le jaune et rouge de l’Espagne à la misaine, au-dessus de la grande croix de bois noir que les charpentiers y avaient clouée.
A midi exactement, Villeneuve envoya le signal 242 dont tout le monde connaissait le sens : « Engagez le combat. » Quelques instants plus tard, le Fougueux, qui se trouvait à deux rangs en avant de l’ Algésiras, tira un boulet de réglage sur le Royal Sovereign qui déploya immédiatement toute sa toile et se rua sur le Santa Anna. Les quatre navires qui entouraient le Santa Anna ouvrirent le feu sur lui de toutes leurs batteries, mais, comme l’avait prévu Magon, le canonnage manquait de précision et de rapidité. Sans avoir tiré un coup de canon, le Royal Sovereign arriva à toucher le Santa Anna beaupré contre beaupré et en balaya le pont d’une terrible bordée d’enfilade.
Le combat s’engageait de toutes parts. Les colonnes anglaises se rabattaient sur l’arrière-garde, maintenant i solée, l’ Algésiras se trouva un moment entouré par l’Agamemnon, le Bellerophon, le Tonnant et le Belleisle.
Au milieu du tonnerre des salves qui roulaient de manière ininterrompue,
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