Le Prisonnier de Trafalgar
résoudre un certain nombre de problèmes. Finalement, il réussit à fabriquer un assemblage hétéroclite de poulies, qui paraissait assez efficace. Il le gréa sur le cabestan du navire qu’il avait démonté et calé à terre sur un bâti de grosses poutres bien ancré dans le sol. Les garants et les aussières qu’il avait trouvés dans le hangar étaient en assez bon état pour supporter l’effort de traction qui leur serait demandé.
A la fin de mars, il jugea que les préparatifs étaient assez avancés pour tenter l’expérience décisive. Tout le monde était sur la grève, même le Révérend Scougal qui observait les opérations du haut d’un rocher comme un grand oiseau de mauvais augure.
Hazembat mit Duncan, Williams, Hawkins et même le vieux Griffith aux barres du cabestan. De part et d’autre de la coque, les Murdoch, armés de mailloches, étaient prêts à coincer en place les tins au moment voulu. Il vérifia une dernière fois les linguets qui empêcheraient le cabestan de revenir en arrière si les hommes lâchaient prise, puis il cria :
— Heave ho !
En même temps, il se jeta sur la barre à côté de Griffith et raidit ses reins. Pendant un long moment, il ne parut rien se passer, puis il entendit le bruit sec d’un linguet qui s’enclenchait.
— Heave away ! cria-t-il.
Il aurait voulu à ce moment se souvenir d’une de ces chansons à virer qu’il avait souvent entendues, mais toutes celles qu’il connaissait étaient en français.
— Heave ho !
Un deuxième linguet cliqueta, puis un troisième. Au quatrième, un grand craquement secoua la coque et Hazembat eut l’impression qu’elle allait se briser en morceaux. Il serra les dents.
— Heave ho !
Cette fois, il y eut toute une série de cliquetis accompagnés de craquements, puis on entendit la voix d’Angus :
— She’s moving ! Ça vient !
Il fallait profiter de l’avantage et ne pas interrompre l’effort. Galvanisés par ce premier succès, les hommes mettaient toutes leurs forces dans la poussée que rythmait la voix d’Hazembat :
— Heave ho !… heave ho !
Des coups de mailloche retentirent. Les Murdoch devaient être en train de poser les premiers tins.
A la fin de la journée, le bateau était bien droit sur sa quille. Hazembat et les Murdoch travaillèrent jusqu’à nuit noire pour assurer les tins et renforcer le berceau, mais le travail de consolidation n’était pas terminé. Un coup de vent un peu fort pouvait renverser tout l’édifice.
Hazembat aurait bien voulu se remettre à l’œuvre dès l’aube, mais le lendemain était un dimanche. De nouveau, il fallut subir l’éloquence du Révérend Scougal. Cette fois-là, il parla de la pureté et de la chasteté. Ecrasé par le torrent d’invectives et de menaces, Hazembat se sentit l’âme noire d’un monstre de luxure et de lubricité.
Le temps s’était gâté et il soufflait une forte brise d’ouest qui charriait des giboulées glaciales. Aussitôt après le service, Hazembat alla jeter un coup d’œil sur son chantier. Tout avait l’air de tenir bon. En évitant de se montrer, il raidit quelques cordages et donna même quelques coups de mailloche pour assurer un tin ou deux.
L’après-midi, il reprit son récit dans le salon. Derechef, Sir John s’endormit au bout d’un moment. Lady Jenny écoutait, faisant de son mieux pour comprendre. Soudain, elle interrompit Hazembat et lui dit en anglais :
— Dites-moi, Hazy, à plusieurs reprises vous avez parlé d’une petite fille qui partageait vos jeux, la fille d’un marchand, je crois, comment s’appelait-elle ?
— Marie, Lady Jenny, mais on l’appelait Pouriquète. Ça veut dire « petite poulette » dans le patois de chez nous.
— Little chicken ? J’aimerais bien qu’on m’appelle comme ça ! Elle était jolie ?
— Très jolie, Lady Jenny.
— Oh ! drop the Lady ! Appelez-moi Jenny tout court ! Vous étiez amoureux d’elle ?
— A cet âge, on ne peut pas dire, Jenny.
— Et qu’est-elle devenue ?
— Elle… elle s’est mariée.
— Avec qui ?
— Avec mon camarade Jantet… Je vous ai parlé de lui.
— Je vois. Continuez, Hazy.
Il continua, le chagrin au cœur. Comme pour se faire mal, il raconta comment, lors de son premier voyage sur la Garonne, Pouriquète lui avait demandé de lui rapporter une fleur de
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