Le Prisonnier de Trafalgar
vanille.
— Et vous la lui avez rapportée, Hazy ?
— Oui, Jenny, mais beaucoup plus tard, quand je suis allé aux Antilles.
— C’est ainsi que les Français appellent les West Indies, expliqua Miss Rowan.
La cloche du dîner sonna, réveillant Sir John.
— Tu n’en es toujours pas à la Révolution, Hazy ? Quand tu y seras, ne me laisse pas dormir.
Toute la nuit, le vent souffla en tempête. Hazembat ne dormit pas, inquiet pour le navire. Avant l’aube, il fut sur la plage que cinglait une pluie froide. Il y avait quelques dégâts, mais la coque avait bien résisté. Il se mit au travail, bientôt rejoint par les Murdoch que les coups de mailloche avaient alertés.
C’est seulement au début de l’après-midi que l’ouvrage fut achevé. Un coup de soleil amena sur la plage Lady Jenny et Miss Rowan. La fillette battit des mains en voyant le bateau qui avait fière allure sur son bâti, maintenant solidement assuré.
— Il me tarde de naviguer sur lui ! Quand allez-vous le mettre à la mer, Hazy ?
— Il y a encore du travail, Jenny. Il faut réparer une partie du bordage, calfater, refaire le gréement dormant… Et, une fois qu’il sera à flot, il restera tout le gréement courant et l’accastillage…
— J’aimerais qu’il soit prêt pour mon anniversaire. C’est le 28 août.
— Eh bien, quel jour sommes-nous aujourd’hui ?
— Le 4 avril.
Hazembat sursauta et, bien qu’il essayât de cacher son trouble, Jenny s’en aperçut.
— Qu’y a-t-il, Hazy ? Le délai vous semble trop bref ?
— Non, Jenny, mais il se trouve qu’aujourd’hui c’est mon anniversaire à moi. J’ai tout juste trente ans.
Jenny courut vers lui et, lui sautant au cou, lui planta un baiser sur la joue.
— Bon anniversaire, Hazy !… Il faut fêter cela ! Miss Rowan, venez vite ! Nous allons dire à Mrs Kerr de préparer un gros gâteau pour ce soir !
La fête eut lieu dans la cuisine qui était le seul endroit où tout le monde pût contenir. Sir John, Lady Jenny, Miss Rowan étaient là et, au dernier moment, le Révérend Scougal fit même son apparition. Il récita une prière et Mrs Kerr sortit du four un gâteau de taille impressionnante. Au même instant, un effroyable hululement déchira l’air, suivi d’une cacophonie de plaintes déchirantes, comme si une douzaine de nouveau-nés géants s’étaient mis à vagir ensemble. Hazembat fut rassuré quand il vit paraître Hawkins soufflant dans ce qu’on appelait à Langon un bohausac, c’est-à-dire une cornemuse, mais de taille monstrueuse et pourvue d’un nombre impressionnant de tuyaux. Hawkins portait un béret analogue à celui de Mac Tavish, une jupe et une cape également à carreaux.
Tout en continuant à sonner de la cornemuse, il fit gravement le tour de la cuisine. Quand le vacarme s’interrompit sur un gémissement lamentable, Sir John leva un pot de l’ ale fraîche que Lorna versait à la ronde.
— Here’s to ye, lad ! Tu es un vrai highlander, Hawkins, et digne de tes ancêtres du clan Mac Gregor ! Joue-nous donc un fling ou un reel que nous nous dégourdissions les jambes !
Hazembat n’avait jamais été très bon danseur, mais il fut complètement dérouté par la complication des mouvements que ses hôtes se mirent à exécuter au son de la cornemuse. Cela tenait de la gigue, mais avec des pas très élaborés qui faisaient penser à une contredanse. Mrs Kerr, malgré son embonpoint, paraissait très à l’aise et virevoltait avec allégresse. Sir John se leva, vint se placer devant elle, une main au-dessus de la tête, l’autre sur la hanche et se mit à danser avec une agilité surprenante. Jenny prit Hazembat par la main.
— Come on, Hazy !
Il tenta de la suivre maladroitement et réussit quelques entrechats. Il allait renoncer quand il vit les yeux rieurs de la fillette fixés sur les siens et il lui sembla qu’il dansait avec Pouriquète sur les quais de Langon lors d’un des bals populaires du début de la Révolution. Miss Rowan dansait avec Angus Murdoch, Lorna avec Duncan. Il entra dans le cercle et, sans plus se poser de questions, participa de son mieux aux figures compliquées du réel. Quand la musique s’arrêta, Sir John se laissa tomber dans son fauteuil, riant à gorge déployée et cherchant à reprendre haleine.
Le gâteau était un peu lourd, mais l’ ale brassée à la maison
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