Le Prisonnier de Trafalgar
moment dégréés. Ils paraissaient faits pour recevoir des voiles à livarde. La ligne de la coque était fine, avec une étrave légèrement arrondie, à la manière anglaise.
Il s’approcha et, tirant son couteau de sa poche, sonda le bordage en plusieurs endroits. Le bois de chêne était sain, à peine attaqué par les cravans. Il faudrait sans doute refaire tout le calfatage, mais les joints n’avaient pas trop souffert.
— Il y a longtemps qu’il est à sec ? demanda-t-il. Angus se gratta la tête et consulta son frère du regard.
— Qué qu’ chose comme deux ans, répondit-il avec un accent épais et presque inintelligible. C’était quand Sir Hew est parti pour Gibraltar. Avant, il l’avait avec lui à Guernesey.
En deux ans, on aurait pu craindre pire. Il se hissa sur le pont en pente et inspecta la plage arrière. La roue tournait librement, dépourvue de sa drosse. La grande cabine mesurait douze pieds sur huit et, de chaque côté d’un étroit couloir, s’ouvraient quatre autres cabines juste assez grandes pour recevoir un cadre et un coffre. Après être descendu dans les fonds pour vérifier l’état du vaigrage qui était satisfaisant, Hazembat sauta sur la plage.
— Où sont les agrès et les apparaux ?
Les Murdoch le regardèrent sans comprendre.
— Tackle and apparel… les poulies, les vergues, les manœuvres, les cordages…
Le visage d’Angus s’éclaira.
— Dans le hangar, derrière la maison.
Ce fut le tour d’Hazembat de se gratter la tête. Il y aurait du travail pour remettre le yacht à flot, puis en ordre de marche.
Après avoir inspecté le hangar, il exposa la situation à Sir John le soir même.
— Il faut commencer par redresser le navire et le soutenir avec des tins. Ensuite, il faudra nettoyer la coque et calfater toutes les coutures. Quand ce sera fait, on le mettra à l’eau et on terminera le gréement. Ça peut prendre plusieurs mois. Il y a tous les outils qu’il faut dans le hangar, mais j’aurai besoin de grosses poutres de bois pour les tins, de cordage et, pour calfater, d’étoupe et de brai.
— On peut trouver tout cela à Dunbar, dit Sir John. Dis à Duncan ce qu’il te faut et il ira le chercher avec la barque des Murdoch. Quant aux poutres, tu en trouveras tant que tu voudras dans les ruines de la forteresse.
Autour de la table de la cuisine, la remise en état de la Jenny était le grand sujet de conversation. Il y avait là, outre Mrs Kerr, Lorna et Duncan, le jardinier Williams et le vieux Griffith qui était attaché au service personnel de Sir John. On voyait de temps en temps les frères Murdoch qui habitaient dans une bicoque, près de la plage, et, plus rarement, le berger Hawkins qui entretenait un petit troupeau de moutons sur la face nord-est de l’île.
Dans le quartier des maîtres vivaient Sir John, Lady Jenny, Miss Rowan et un personnage qu’Hazembat n’avait pas encore vu, le Révérend Scougal qui était le chapelain de Bass Rock.
Il fit sa connaissance le surlendemain de son arrivée, qui était un dimanche, quand la maisonnée se réunit dans le petit hall d’entrée.
— Je te mets à l’aise, avait dit Sir John à Hazembat. Si tu es papiste, je ne t’oblige pas à supporter le prêche d’un ministre presbytérien écossais. Beaucoup de gens considéreraient cela comme au-dessus de leurs forces.
Hazembat n’était pas sûr de croire en Dieu, mais il était fasciné par toutes les formes que pouvait prendre une religion qui était supposée être la même. C’est donc surtout par curiosité qu’il se joignit aux autres.
Le Révérend Scougal était à la fois maigre et bedonnant, ce qui formait une étrange combinaison. Ses vêtements noirs pendaient tristement sur son torse étroit, puis formaient une protubérance sur sa bedaine. Il en sortait en bas deux longues jambes maigres et, en haut, une tête en lame de couteau avec des sourcils noirs touffus et un nez rouge qui tranchait sur le teint blême.
D’une voix nasillarde, il lut un passage de l’Ancien Testament où il était question de passer les infidèles au fil de l’épée, puis un passage du Nouveau Testament où il était question de pleurs et de grincements de dents. Entre les deux, on chanta un cantique qu’Hazembat reconnut pour un de ceux qu’il chantait, le dimanche, sur l’ Abigail , essayant de noyer sa voix incertaine dans les mugissements de Sam
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