Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Prisonnier de Trafalgar

Le Prisonnier de Trafalgar

Titel: Le Prisonnier de Trafalgar Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Escarpit
Vom Netzwerk:
l’os brûlant, il fit à tout hasard des tranches verticales dans la partie la plus charnue, puis tenta de glisser son couteau le long de l’os. Mais rien ne se passait comme il l’avait espéré. Au lieu de tomber sagement sur le côté, les tranches irrégulières et déchiquetées adhéraient par mille fibres, la viande roulait sous la lame au lieu de se laisser trancher. A force de taillader, il finit par obtenir un tas informe de morceaux inégaux qu’il essaya vainement de ranger autour du plat.  
    Il fut soulagé de constater que la plupart des autres convives s’étaient déjà servi de la fricassée ou du pâté en croûte. Seule, Miss Rowan lui tendit son assiette. Il choisit la tranche la moins irrégulière et se servit lui-même. Mais déjà Hornblower l’interpellait.  
    — Monsieur Hazembat, notre ami, Sir John, n’aime pas le vin. Je lui ai donc fait servir de l’ ale. Mais vous ne refuserez pas, j’espère, de boire avec moi du claret de votre pays !  
    Ce fut le jeune Duncan qui porta le toast au roi. Hazembat se leva, mais ne fit que tremper ses lèvres dans le verre en évitant d’en absorber une goutte. Puis ce fut le tour de Freeman qui proposa la santé de Lady Jenny. Cette fois, Hazembat vida son verre. Le bouquet du bordeaux vieux le prit par surprise, faisant lever dans sa poitrine toute une flambée de nostalgies.  
    On remplit les verres et on but à Miss Rowan, à Sir John, à l’Ecosse, à la marine. On eut la délicatesse d’éviter les habituelles imprécations contre Boney et la France.  
    — Et vous, monsieur Hazembat, demanda Hornblower, ne porterez-vous pas un toast ?  
    Enhardi par les précédentes libations, Hazembat leva son verre et dit :  
    — A la liberté !  
    — Un choix judicieux pour un prisonnier ! s’écria Hornblower. A votre liberté, monsieur Hazembat, et à celle de tous les hommes ! C’est pour elle que la Navy combat !  
    — S’il vous plaît, commodore, dit soudain Miss Rowan, permettrez-vous à une femme de porter un toast ?  
    — Le beau sexe a la primauté sur tous les usages, madame. Tous les officiers de Sa Majesté Britannique seront heureux et flattés de vider leur verre avec vous.  
    — A la paix ! dit Miss Rowan.  
    — A la paix, madame ! Encore que les jeunes gens qui sont autour de cette table ne soient guère pressés de voir se terminer des combats où leurs supérieurs ont autant de chances qu’eux de se faire tuer et de leur ouvrir ainsi le chemin d’une promotion rapide !  
    Très pâle, Miss Rowan vida son verre et se rassit, les yeux fermés, comme prête à s’évanouir. Le capitaine Bush qui n’avait manifestement pas l’expérience des humeurs féminines, s’inclina vers elle et lui demanda d’une voix tonnante :  
    — La chaleur vous incommode-t-elle, madame ?  
    — Non, capitaine. C’est simplement que je n’ai pas l’habitude du vin. Cela va me passer.  
    L’instant d’après, elle s’était ressaisie, le visage impassible et serein comme toujours. Hazembat l’observa avec curiosité. Pendant le bref instant où elle avait cédé à l’émotion, c’était comme si un masque était tombé, révélant, à travers une sorte de désespoir, le visage d’une femme jeune et sensible.  
    — Commodore, demanda Sir John, croyez-vous que la paix soit proche ?  
    Hornblower, qui avait, lui aussi, les yeux fixés sur Miss Rowan, posa son verre.  
    — Vous savez, Sir John, ce que disait William Pitt peu avant sa mort, en 1806 : « On peut ranger les cartes d’Europe. On n’en aura pas besoin pendant les dix années à venir. »  
    — Oui, mais si Fox lui avait survécu, la guerre contre Napoléon aurait peut-être été menée avec plus de vigueur et surtout d’habileté ! Que pensez-vous de Canning ?  
    — Avec votre permission, Sir John, un officier de Sa Majesté n’est supposé penser que lorsque ses supérieurs le lui demandent ou que les circonstances impérieuses du combat et de la navigation l’exigent.  
    — Vous avez entendu parler de la capitulation de Cintra ?  
    — Au Portugal ? Il y avait un article dans le dernier numéro de la Naval Chronicle que nous a apporté la frégate de liaison. Il paraît que les Français s’en sont tirés à bon compte.  
    — A trop bon compte ! Et Canning essaie de faire porter la responsabilité à mon cousin, Sir Hew Dalrymple ! Ne croyez-vous pas que c’est un scandale ?

Weitere Kostenlose Bücher