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Le Prisonnier de Trafalgar

Le Prisonnier de Trafalgar

Titel: Le Prisonnier de Trafalgar Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Escarpit
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Hazy ! Personne n’est plus vivant que vous ! Vous êtes la vie même !  
    Passant son autre bras autour de sa taille, il la fit tourner vers lui. Elle renversa la tête et leurs lèvres s’accueillirent avec une douce lenteur. Sous le manteau, sa main remonta, rencontrant, à travers la mince chemise, un sein ferme et plein. Il lui sembla qu’il déversait dans ce baiser toute la tendresse accumulée pour Pouriquète depuis la terrible nuit de Portsmouth. Longtemps après, elle se dégagea doucement et garda un instant le visage appuyé sur sa poitrine, puis elle recula et serra son manteau autour d’elle.  
    — Bonsoir, Hazy.  
    — Bonsoir, miss.  
    —  Lucy.  
    — Bonsoir, Lucy.  
    Quand elle fut partie, il resta un moment immobile, comme étourdi. Il passa la main sur la lisse, à l’endroit où elle s’était tenue, croyant retrouver un peu de la chaleur de son corps, puis, tassé contre un rouleau de cordage, il s’endormit à même le pont.  

CHAPITRE IX : JENNY
    Dans l’après-midi du surlendemain, Robert Murdoch signala la terre. Angus monta le rejoindre. Ils discutèrent un instant.  
    — C’est Stonehaven, dit Angus en redescendant. On reconnaît le rocher de Dunottar Castle.  
    D’un bout de doigt sale, il montrait l’endroit sur la carte, à une douzaine de milles au sud d’Aberdeen.  
    — Ce n’est pas trop mal, dit Hazembat. Les Murdoch, mettez les voiles au plus près serré. Malcolm, cap nord-est un quart nord. Nous y serons dans moins de trois heures.  
    Il alla annoncer la nouvelle aux passagers. Sir John fumait son éternel cigare devant la fenêtre, Lady Jenny lisait et Miss Rowan brodait.  
    Elle n’était pas venue sur le pont la nuit précédente et, quand Hazembat entra, elle leva vers lui un regard calme et clair, sans la moindre complicité.  
    — Bien, dit Sir John, je n’en attendais pas moins de toi, Hazy. Je crois que le port d’Aberdeen est difficile. Tu t’amarreras à la digue extérieure et tu enverras Malcolm s’occuper de notre accueil.  
    D’Aberdeen, Hazembat ne vit pas grand-chose, sinon des maisons grises, avec ce reflet particulier que donne le granit et qu’il avait déjà vu en Galice. La digue protégeait le petit estuaire de la Dee où s’entassaient des embarcations de toutes sortes. Même de loin, le quartier du port avait l’air assez sordide. Malcolm revint avec une chaise attelée de deux chevaux, qui resta sur le quai. Les passagers durent cheminer péniblement une bonne centaine de toises sur les pierres disjointes du môle pour l’atteindre.  
    — Nous passerons la nuit à l’auberge du Bridge of Balgownie, lui avait dit Sir John. Tu peux aller t’amuser en ville si tu veux. Nous repartirons demain après-midi ou, au plus tard, après-demain.  
    Mais Hazembat n’était pas d’humeur à errer dans les venelles puantes qu’il entrevoyait. Les Murdoch et Malcolm, au contraire, avaient grande envie de se dégourdir les jambes. Il leur donna quartier libre et prit la garde à bord.  
    Les pensées tournaient dans sa tête, confuses, et une sorte d’angoisse serrait sa poitrine, avec pourtant l’arrière-goût de douceur et d’allégresse qu’avait laissé sur ses lèvres le baiser de Lucy. C’était comme deux désespoirs, deux solitudes qui s’étaient rencontrés et reconnus l’espace d’un instant. Il avait senti monter en lui le désir au contact du corps de Lucy, mais comment aurait-il pu considérer Miss Rowan comme une autre bonne fortune ? Bien que pauvre et malheureuse, elle appartenait à un autre monde que lui, celui des maîtres. Tout les séparait : son éducation et l’amour qu’elle gardait pour son mari défunt. Gardait-il, lui, le même amour pour Pouriquète ? Il n’arrivait pas à lui en vouloir d’avoir épousé Jantet. Vivant et mort à la fois, il se voyait comme un personnage double : Hazembat, marin de la République, bien campé sur ses jambes, le cœur fier et le rein chaud, avide d’aventures, mais toujours fidèle à Langon, à la Garonne, à sa promise, et Hazy, cette sorte de fantôme qui, depuis Trafalgar, suivait un chemin de plus en plus tortueux, de plus en plus étrange, à travers des épisodes obscurs et parfois douloureux qui l’amenaient à naviguer sous pavillon britannique, à trinquer avec des officiers anglais et à serrer dans ses bras une morte-vivante comme lui.  
    L’envie le prit soudain de larguer les amarres et de faire route

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