Le Prisonnier de Trafalgar
sud-sud-est. A moins de cinq cents milles, il trouverait la côte hollandaise en trois ou quatre jours de navigation. Il se sentait la force à manœuvrer le yacht tout seul, la barre amarrée. Même si le vent fraîchissait et tournait à l’ouest, il n’en irait que plus vite.
Mais ce ne fut qu’une idée passagère. Il fit une ronde dans le navire, s’attardant dans la cabine de Miss Rowan. Accrochée à une patère, il vit la chemise qu’elle portait l’autre soir sur le pont. Il y plongea le nez, cherchant les odeurs qu’il avait à peine eu le temps de percevoir. Puis il s’étendit sur le cadre, surpris par ses petites dimensions. Pour y dormir, il aurait fallu qu’il se tienne en chien de fusil. Pour y faire l’amour, il aurait fallu être un nain. Dans la cabine de Jenny, un livre traînait par terre. A la lueur de sa lanterne, il en déchiffra le titre : The Mysteries of Udolpho. Il essaya de le feuilleter, mais n’y comprit pas grand-chose. Chez Sir John, où cela sentait le tabac, la seule chose d’intérêt était une boîte de cigares. Après un instant d’hésitation, il en prit un et l’alluma à la lanterne. L’odeur d’huile de la première bouffée l’écœura, mais il s’obstina et bientôt les volutes odorantes évoquèrent pour lui le souvenir des grandes feuilles brunes qu’il chiquait à Cuba en péchant au large de Batabano. Chez Griffith, il trouva un flacon de whisky. Il en prit une lampée et aussitôt une langueur irrésistible envahit ses membres.
Revenu sur le pont, il alla se nicher contre le rouleau de cordage qui était devenu son coin favori et s’endormit. Le retour de Malcolm et des Murdoch, passablement éméchés, l’éveilla vaguement et lui donna le sentiment confortable d’une présence familière.
Cette nuit-là, il rêva de la Garonne et du vent frisquet nui soufflait à contre-courant, les jours d’automne, faisant clapoter les vaguelettes devant la Maison du Port.
Il s’éveilla transi. Le vent tournait au froid, avec un léger brouillard glacé. Il alla dans la minuscule cuisine, alluma du feu et prépara maladroitement du porridge. La pâte gluante qu’il obtint avait au moins le mérite d’être brûlante.
Au début de l’après-midi, Malcolm, mal remis de ses excès de la nuit précédente, alla au Bridge of Balgownie pour prendre des ordres. Il revint trois heures plus tard. Sir John était d’humeur massacrante et faisait dire qu’on appareillerait le lendemain matin.
Ce soir-là, ce fut le tour d’Hazembat d’aller traîner dans les tavernes. Angus Murdoch l’accompagna. Il désirait retrouver une fille qu’il avait rencontrée la veille. Tandis qu’il faisait son affaire avec elle sur une paillasse dans l’arrière-boutique, Hazembat accepta le défi à la loyale d’un grand pêcheur aux cheveux filasse. Sir John avait dit vrai : il y avait en Ecosse des adversaires de sa force. Il alla rouler trois fois sur la terre battue avant de pouvoir placer le coup de Sam Billings. Quand l’Ecossais revint à lui, il parut ravi et commanda une tournée générale. Un peu après minuit, pleins d’ ale et de whisky, Angus et Hazembat rentrèrent à bord. Le vent avait tourné plein nord et fraîchi considérablement. Hazembat se résigna à aller dormir dans le poste d’équipage où les quatre hamacs étaient serrés comme harengs en caque.
C’est seulement vers midi, le lendemain, que Sir John arriva, suivi des deux femmes et de Griffith. Le visage fermé, il alla sans mot dire s’enfermer dans la cabine arrière. Ce fut Griffith qui transmit l’ordre d’appareiller.
Sous voile réduite et vent arrière, la Jenny fila plein sud tout l’après-midi. A la nuit tombante, Angus reconnut la baie de Montrose. La brise tourna soudain à l’ouest et tiédit. Cela pouvait être le signe d’une tempête prochaine. Hazembat fit réduire encore la voile, à prendre le vent de travers. Comme la brise était encore modérée et la mer peu houleuse, il envoya les autres dormir et prit lui-même la barre pour la nuit.
Au bout de deux heures, il entendit par l’avant le son lugubre de la cloche d’Inchcape. Selon les sautes du vent, elle paraissait très lointaine ou très proche. L’essentiel était de la laisser par bâbord. Ensuite, il ne resterait que quarante milles de navigation facile jusqu’à Bass Rock. Au train réduit auquel ils allaient, il apercevrait la côte tôt dans la matinée.
La
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