Le Prisonnier de Trafalgar

cloche était maintenant très distincte par le travers.  
    — Robert Southey a écrit une ballade sur le pirate qui avait coupé la corde de cette cloche, dit soudain une voix à côté de lui.  
    — Lucy !  
    Elle était là, cheveux dénoués dans le vent, son manteau serré autour d’elle.  
    — Vous allez avoir froid.  
    Il passa son bras autour de ses épaules et elle se blottit contre lui, récitant doucement les vers de la ballade. A un moment, il dut la lâcher pour saisir les manettes à deux mains afin de corriger la route. C’est elle qui étendit le bras et alla agripper son épaule. Collée contre son corps, elle formait comme un bloc avec lui. A travers la double épaisseur du manteau et du suroît, il sentait ses seins et sa hanche. Elle glissa sa main libre par l’entrebâillement du suroît et de la chemise et se mit à lui caresser doucement la poitrine.  
    — Lucy ! par pitié ! dit-il d’une voix étranglée. Je ne peux pas lâcher la barre.  
    Son rire sonna clair dans son oreille.  
    — C’est bien pour cela que j’en profite ! C’est bon ?  
    — C’est trop bon, Lucy ! J’ai envie de toi !  
    — Et moi aussi, j’ai envie de toi, Hazy !  
    Sa langue explorait son oreille. Des frissons aigus parcouraient tout son corps, à la limite du supportable.  
    — Si tu veux, dit-il, je puis amarrer la barre un moment. La mer est libre devant nous.  
    — Non, il n’y a pas ici d’endroit pour faire l’amour comme il mérite d’être fait.  
    Sur la pointe des pieds, elle couvrait ses joues râpeuses de petits coups de langue, cherchant ses lèvres.  
    — Tu sais, souffla-t-elle, je n’ai fait l’amour qu’une seule fois dans ma vie. C’était il y a cinq ans, avec mon mari. Je puis encore attendre, mais il faut que la fête soit aussi belle que cette fois-là.  
    — J’attendrai aussi, Lucy, mais…  
    — Je sais. Je ne te demanderai pas la même patience. Elle se laissa couler le long de ses jambes écartées, à genoux sur le caillebotis et adossée à la barre dont son torse suivait les mouvements.  
    Les yeux fixés sur le compas, Hazembat ne voyait pas ce qu’elle faisait. C’était comme si la moitié supérieure de son corps, plongée dans le vent et la nuit, ignorait le somptueux feu de joie qui s’embrasait au-dessous de sa ceinture. La jouissance le prit par surprise, violente, insoutenable. Il poussa un cri, les mains crispées sur les manettes et tout le corps secoué par un spasme. Quand il reprit son souffle, il s’aperçut qu’il n’avait pas quitté le compas des yeux. Déjà, elle remontait souplement, se coulant entre lui et la barre, dans l’angle de ses bras écartés. Son manteau était tombé et, demi-nue dans sa chemise dont le haut avait glissé, découvrant ses seins, elle le tenait à bras-le-corps. Leurs lèvres se cherchèrent et se trouvèrent. Lâchant la barre d’une main, il la saisit à la taille et la serra contre lui.  
    Un coup de mer fit embarder le navire et ils faillirent perdre l’équilibre. Il lâcha aussitôt son étreinte pour faire pivoter la barre à rencontrer.  
    Déjà, elle avait ramassé son manteau et l’avait jeté sur ses épaules. Doucement, elle lui posa un baiser sur la joue.  
    — Bonsoir, Hazy.  
    — Bonsoir, Lucy… Une autre fois, j’espère que je n’aurai pas les mains occupées.  
    — Souviens-toi, Hazy, il faut que ce soit une grande fête.  
    Elle disparut dans l’ombre du gaillard d’arrière. Resté seul, Hazembat se demanda s’il n’avait pas rêvé, mais tout son corps se souvenait avec une précision délectable de ce qu’il venait de vivre. L’aise, maintenant, montait jusqu’à sa poitrine, la gonflant d’allégresse, élargissant ses épaules et donnant à l’air humide qu’il respirait un parfum de vie capiteux et doux. Du fond de ses tripes, il rit dans le vent.  
    On ne relâcha à Bass Rock que pour décharger quelques provisions pour Williams et Hawkins. Avec la permission de Sir John, Hazembat leur laissa aussi le canot de la Jenny afin qu’ils ne fussent pas complètement coupés de la terre.  
    Arrivé à Leith, le vieux juge appela Hazembat avant de débarquer. Il avait l’air las et triste.  
    — Hazy, dit-il, tu as dû deviner que je n’ai pas trouvé auprès du jeune Skene l’appui que j’espérais. C’est un Whig et Sir Hew a toujours affiché ses sympathies pour les Tories, comprends-tu ?  
    Il ne