Le Prisonnier de Trafalgar
la mi-décembre. L’ancien chirurgien du Tonnant était d’une bonne humeur communicative. Il eut tôt fait de remonter le moral de son patient en lui racontant des anecdotes de ses voyages. Quand reprit le rite des récits dominicaux d’Hazembat, bien qu’il comprit mal le français, il en ponctuait les épisodes de commentaires qui faisaient rire tout le monde.
Noël vint, un peu solennel et froid. Mac Leod expliqua à Hazembat que les presbytériens voyaient d’un mauvais œil les festivités traditionnelles qu’ils considéraient comme des pratiques païennes. Pourtant, le soir, Hazembat aida Duncan à porter une grande bûche dans la cheminée de la cuisine. Lorna prépara un gâteau et toute la maisonnée vint boire de l’ ale .
On ne se sépara guère plus tard que d’habitude et, au moment où Miss Rowan s’apprêtait à suivre Jenny et Sir John, elle s’arrangea pour passer près d’Hazembat. Un très bref instant, ses yeux se fixèrent sur les siens et elle murmura d’une voix distincte :
— Ce soir.
Par prudence, Hazembat attendit dans sa chambre que tous les bruits se fussent apaisés dans la maison. Etrangement ému, il sentait son cœur battre d’impatience et d’inquiétude, comme celui d’un fiancé qui se rend à son premier rendez-vous. Sortant dans le couloir, son bout de chandelle à la main, il descendit l’escalier de bois qui menait au premier étage, puis l’escalier de pierre qui menait au rez-de-chaussée. Trois marches encore sous une porte voûtée le conduisirent à la cuisine où Lorna gardait un baquet d’eau toujours plein près de la cheminée. La bûche de Noël brûlait encore doucement. A la lueur dansante des flammes, il entreprit de se laver. Il se sécha avec sa chemise et, torse nu, reprit le chemin du premier étage.
La chambre de Miss Rowan était la dernière au bout du couloir, à côté de celle de Jenny. Il avait l’impression qu’à chacun de ses pas le parquet craquait bruyamment. Sous sa poussée, la porte s’ouvrit en silence et il s’arrêta sur le seuil, interdit.
Les murs de la chambre étaient couverts de flots de tulle blanc. Deux grands candélabres brûlaient de part et d’autre du lit tendu d’une mousseline neigeuse. Lucy était adossée aux oreillers, cheveux dénoués et revêtue d’une légère chemise de dentelle fine. La lueur des chandelles faisait jouer sur son visage des reflets dansants et dorés, donnant à ses traits réguliers une animation délicate. Elle tendit les bras.
— Come on, Hazy !
Il s’avança presque timidement et se pencha vers elle. Beaucoup plus tard dans la nuit, elle dit :
— Merci, Hazy, c’était aussi beau que je l’avais imaginé.
Elle disait beau, comme on aurait parlé d’un spectacle. Il ne sut quoi répondre. L’expérience lui était nouvelle. L’acte d’amour, pour lui, avait été assouvissement, plaisir, violence, tendresse, passion, mais jamais fête.
Elle saisit sa chemise sur le lit et la déploya, ainsi qu’on fait admirer une robe de bal.
— C’est la chemise que je portais lors de ma nuit de noces. La dentelle vient de Honiton, dans le Devonshire. Tu aimes ?
C’était comme une coquette parlant d’une parure. Il la prit dans ses bras et se pencha sur ses lèvres.
— C’est toi que j’aime.
Soudain sérieuse, elle se dégagea, tournant la tête vers lui.
— Non, Hazy, tu aimes la fille qui ne t’a pas attendu en France, et moi, j’aime mon mari qui est mort. Ni toi ni moi n’aimerons jamais d’autres qu’eux. C’est la fête de ces amours perdues que nous célébrons, toi et moi, cette nuit.
Le désir soudain les reprit et Hazembat se laissa emporter dans le tourbillon de la fête, mais, aux petites heures de la nuit, alors qu’elle dormait, il resta longuement les yeux ouverts, un creux de solitude au ventre. Les chandelles des candélabres s’étaient presque toutes consumées, laissant une odeur de suif brûlé. Il n’en restait plus que deux qui éclairaient la chambre d’une lueur fuligineuse et triste. La fête était finie. Doucement, il posa un baiser sur les cheveux épars, puis il se leva, s’habilla et regagna sa chambre.
Dans les jours qui suivirent, il ne revit pas Lucy. Janvier était beau et relativement doux. Les Murdoch, impatients de reprendre leur métier, avaient demandé à Sir John l’autorisation d’utiliser la Jenny pour aller pêcher le hareng sur la
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