Le Prisonnier de Trafalgar

côte nord du Firth. Hazembat reprit donc la mer avec eux pour quelques marées. Il apprit ainsi que le hareng qui remonte, l’été, vers le nord en eau profonde, vient, l’hiver, en surface le long des côtes où on le pêche la nuit avec de longs filets maillants et dérivants.  
    Les Malcolm utilisaient un seul filet d’une trentaine de toises de long sur sept de large, qu’ils mettaient en place au crépuscule et relevaient le matin. Hazembat ne se lassait pas de voir l’énorme masse argentée des poissons capturés se déverser sur le pont en une cascade blanche dans la lumière pâle de l’aube. Par endroits, on distinguait le dos rayé d’un maquereau ou le ventre pâle d’un gros flétan qui se débattait. Dès la pêche terminée, la Jenny faisait route vers un des ports du Firth où les Murdoch vendaient leur prise.  
    A la fin du mois, les tempêtes recommencèrent et Hazembat regagna Edimbourg où la vie s’écoulait, monotone, entrecoupée seulement par les séances du dimanche. Miss Rowan brodait, les yeux baissés sur son ouvrage. Depuis la nuit de Noël, Hazembat n’avait échangé ni un mot ni même un regard avec elle. C’était comme si tout n’avait été qu’un rêve étrange. Il en était de son récit à l’épisode de sa blessure sur l’ Argonaute.  
    —  J’ai vu ta cicatrice, dit Mac Leod. C’est du très beau travail. L’école de médecine de Brest est parmi les meilleures de France.  
    — Je peux voir ? demanda Jenny.  
    — Il faudrait qu’Hazy ôte sa chemise, grommela Sir John. Ce n’est guère convenable devant des dames.  
    — Je vais avoir quinze ans, Uncle John, dit Jenny. Il n’y a rien d’inconvenant à ce que je voie le dos d’un homme. Quant à Miss Rowan, elle doit en avoir vu depuis longtemps !  
    Miss Rowan leva les yeux vers Jenny et sourit.  
    — Bien sûr, Jenny. J’ai déjà vu le dos d’Hazy quand il travaillait torse nu au chantier du bateau. Vous aussi, d’ailleurs.  
    — Mais pas de près !  
    — Médicalement, c’est un spectacle très instructif, dit Mac Leod. Ote ta chemise, sailorr.  
    Horriblement gêné, Hazembat s’exécuta. Il sentait Jenny derrière lui, le regard curieux.  
    — Ça vous fait mal, Hazy ?  
    — Plus maintenant, Jenny.  
    — Je peux toucher ?  
    — Si vous voulez.  
    Il sentit son doigt qui suivait le sillon de l’épaule au creux des reins.  
    — Et ces autres cicatrices, en travers ?  
    — Ce sont des coups de fouet.  
    — On vous a donné le fouet ? Pourquoi ?  
    — Parce que j’ai essayé de m’évader.  
    — Qui vous a fait ça ?  
    — Un ami, Jenny : votre cousin, le capitaine Stephen Holloway.  
    — C’est un barbare ! Je le déteste !  
    — Non, Jenny, c’est une grande faveur qu’il m’a faite. Il aurait pu me faire pendre.  
    — C’est la guerre, Jenny, dit doucement Miss Rowan. Il n’y a pas de barbares : il n’y a que des héros, ceux qui vivent, et des victimes, ceux qui meurent. Hazy est un héros et votre cousin Stephen aussi.  
    Le dimanche suivant, le temps se remit au beau et les eaux du Firth étaient lisses comme un miroir. Hazembat demanda la permission d’aller faire encore quelques marées avec les Murdoch.  
    — D’accord, dit Sir John, mais que le yacht soit prêt à nous transporter à Bass Rock dans quinze jours.  
    —  Uncle John ! s’écria Jenny, est-ce que je peux aller avec eux ?  
    — Tu es folle, Jenny ! La pêche en mer n’est pas une partie de plaisir pour petite fille.  
    — Je ne suis plus une petite fille et les Murdoch nous ont plusieurs fois emmenés avec eux dans leur barque, Miss Rowan et moi !  
    — Miss Rowan n’a peut-être pas envie d’aller pêcher le hareng.  
    — Elle n’a pas besoin de venir ! Avec Hazy, je serai en sécurité, n’est-ce pas, Miss Rowan ?  
    La jeune femme posa son ouvrage et répondit avec un léger sourire :  
    — Oh, tout à fait, Jenny. Mais c’est peut-être lui qui ne sera pas en sécurité avec vous. Qu’en pensez-vous, Hazy ?  
    Etait-ce Miss Rowan ou Lucy qui parlait ? Il essaya en vain de lire dans ses yeux, incapable de répondre. Mac Leod éclata de rire.  
    — Miss Rowan n’a pas tort, sailorr ! Une femme à bord, c’est pire qu’une escadre qui a le vent sur toi. Mais un homme qui a survécu à un coup de canon à bout portant ne doit avoir peur de rien, même pas de Jenny !  
    En fait, Jenny se