Le Prisonnier de Trafalgar
et affectueux.
— Jolie comme vous l’êtes, Jenny, vous ne manquerez pas de prétendants qui vous plairont ! Je suis sûr que vous en avez déjà remarqué au moins un !
— Non, Hazy. Depuis que je suis toute petite, je vis à Bass Rock et, quand nous allons à Edimbourg, Uncle John ne fréquente que de vieilles gens. Je ne connais pas d’hommes jeunes… sauf vous.
— Moi ? Mais j’ai deux fois votre âge ! Elle s’écarta vivement.
— Vous aussi, vous me considérez comme une petite fille !
— Non, Jenny. Vous êtes une vraie petite bonne femme, comme l’était Pouriquète à votre âge, mais il y a d’autres hommes, beaucoup d’autres hommes plus jeunes, plus riches, plus puissants, plus beaux que moi. Quand vous les connaîtrez, vous n’aurez que l’embarras du choix.
De nouveau, elle se serra contre lui.
— Je ne vous demande pas de m’aimer comme vous aimiez votre fiancée, Hazy. Je voudrais seulement que vous pensiez à moi comme à une femme… même si je ne vous donne pas ce que Miss Rowan vous a offert.
— C’est bien peu de chose, Jenny, mais en ce moment je vous assure qu’il me serait bien difficile d’ignorer que vous êtes une femme.
— C’est vrai ?
— Ce n’est que trop vrai.
Riant soudain, elle lui planta un baiser sur le nez et s’en fut en courant vers sa cabine.
— Good night, Hazy !
L’installation à Bass Rock se fit par un temps pluvieux et frisquet. Malcolm et Griffith restaient à Edimbourg pour garder la maison. Duncan et Lorna avaient repris leur service à Bass Rock, l’un comme valet de Sir John, l’autre comme femme de chambre. La rude, mais industrieuse activité de Mrs Drumclog rendit vie à la cuisine. Le jeune Charlie ne se tirait pas trop mal du travail d’homme à tout faire qui était naguère celui de Duncan.
Le printemps fut maussade jusqu’en mai et Hazembat en profita pour procéder sur la Jenny à quelques réparations et ajustements. Il ajouta notamment un clin loc à l’avant pour rendre le navire plus maniable. Jenny avait repris son habitude de venir s’installer sur le pont pour le regarder travailler. Leurs relations avaient subtilement changé et quand, pour une raison ou une autre, elle tardait à venir, Hazembat se prenait à jeter des regards vers la grève. Quand il la voyait descendre le sentier à grandes enjambées qui faisaient voltiger sa lobe, il abandonnait aussitôt ses outils pour aller la chercher avec le canot.
Elle n’avait jamais abordé de nouveau le sujet de ses relations avec Miss Rowan. Il n’y aurait d’ailleurs eu rien a en dire. La Lucy qui s’était un instant révélée semblait avoir complètement disparu derrière le front lisse et les veux paisibles de l’institutrice.
Les Murdoch avaient repris la pêche avec leur barque et, le plus souvent, Hazembat et Jenny étaient seuls ensemble des après-midi entiers sur le bateau. Amusé et séduit, il l’écoutait poser les questions les plus saugrenues, passant du coq à l’âne : « Hazy, comment sont habillées les négresses ? A quoi reconnaît-on qu’il va y avoir une tempête ? Est-ce vrai que les pirates portent des anneaux d’or aux oreilles ? Quand on guillotine quelqu’un, est-ce que ça lui fait mal ? Quelle est la différence entre un cabestan et un guindeau ? La Garonne, c’est aussi large que le Firth ? » Chaque fois, il essayait de répondre de son mieux, mais souvent il devait avouer son ignorance. Elle faisait alors la moue :
— Hazy, vous me cachez quelque chose !
A son tour, il l’interrogeait, cherchant à mieux connaître son enfance et pris de pitié en découvrant la solitude dans laquelle elle avait grandi. De ses parents, elle n’avait gardé aucun souvenir. Les premières images dont elle conservait la mémoire dataient de ses cinq ans, quand elle vivait à Guernesey avec les Dalrymple. C’est alors que Sir Hew avait acheté le Bruce et l’avait rebaptisé la Jenny. A Guernesey d’abord, à Bass Rock ensuite, Lady Dalrymple lui avait appris à lire, à coudre, à jouer de l’épinette. Puis elle était partie pour Gibraltar avec son mari, la confiant à Sir John qui avait engagé Miss Rowan. Jenny avait alors dix ans et, depuis ce temps, elle vivait entre le vieil oncle et l’institutrice. De cette période de sa vie, elle gardait le souvenir d’un temps heureux, mais maintenant, sans même s’en rendre compte,
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