Le Prisonnier de Trafalgar

 
    Il vint inspecter la Jenny avec Hazembat.  
    — Je ne suis pas marin, dit-il, mais il me semble que tu as fait du joli travail, sailor. Tu te plais ici ?  
    — Oui, beaucoup, sir.  
    —  Profites-en. Si mon père disparaît, cela risque d’être moins drôle pour toi. Ce n’est pas que Sir Hew soit un mauvais bougre, mais il n’a pas la… classe, si tu vois ce que je veux dire.  
    — Je vois, sir.  
    Sir John mourut le 20 janvier dans son sommeil et la vie parut s’arrêter à Bass Rock. Jenny s’était enfermée dans sa chambre où seule Miss Rowan avait accès auprès d’elle. Selon son vœu, Sir John fut enterré sur la côte est de l’île, face à la mer. Hazembat alla chercher à Edimbourg un ministre presbytérien, Malcolm et Griffith. Au dernier moment, une petite barque vint s’échouer sur la grève et l’ex-Mrs Kerr en descendit, suivie d’un Scougal apparemment docile et bien dompté.  
    Ils étaient dix-sept autour de la fosse dans le grand vent froid de nordé. Un voile noir couvrait la tête de Jenny, laissant à peine entrevoir son visage pâle quand une rafale le soulevait.  
    « Earth to earth, ashes to ashes, dust to dust…» disait la voix forte du pasteur et Hazembat songeait à tout ce qu’il avait vu retourner à la poussière depuis qu’il était né. Mais les marins, non, leur tombeau n’était pas de terre. Ils continuaient à vivre de la vie éternelle et toujours renouvelée de la mer dans laquelle on les immergeait comme en un nouveau baptême. Ses yeux se perdirent sur l’horizon gris et il crut revoir le visage de Smithy, le marine, quand, au prix de sa liberté, il récitait sur son corps mutilé une prière à laquelle il ne croyait pas.  
    Après les obsèques, on se réunit dans la cuisine où Mrs Drumclog avait préparé un haggis sur lequel l’ex-Mrs Kerr jeta un regard soupçonneux et critique avant d’y goûter du bout des lèvres. On but de l’ ale à la mémoire du défunt. Ni Jenny ni Miss Rowan n’assistaient au repas.  
    Huit jours plus tard, alors que le major faisait ses préparatifs de départ, le cotre de Mac Tavish amena Lady Dalrymple, accompagnée d’une servante espagnole et de toute une cargaison de malles et de coffres.  
    C’était une grosse femme d’une cinquantaine d’années, rougeaude, agitée et bavarde. Quand Jenny vint l’accueillir sur la grève, elle se récria à grands piaillements :  
    —  Good gracious ! voilà donc ma chère petite Jenny ! Mais comme elle a grandi et embelli ! Dear me ! j’avais laissé une enfant et je retrouve une jeune fille bonne à marier !  
    Le visage de Jenny se ferma et elle répondit froidement aux embrassades de sa tante qui passa soudain du sourire sucré à des airs d’affliction ostentatoire en se tournant vers le major.  
    — Dear, dear John ! j’ai appris à Edimbourg le deuil qui nous frappe tous. Vous devez être bouleversé comme je le suis moi-même ! Votre père était un homme adorable et l’incarnation de toutes les vieilles vertus de l’Ecosse ! Hew sera terriblement choqué quand il apprendra la nouvelle. Vous savez qu’il commande en second la brigade que Lord Wellington a envoyée contre Soult ?  
    Comme il revenait à la femme du légitime propriétaire de Bass Rock, elle s’installa en maîtresse de maison. Dès le lendemain matin, elle se fit présenter à la domesticité. Quand vint le tour d’Hazembat, elle l’examina curieusement.  
    — Ah, voilà donc le marin français que nous a recommandé Stephen ! Parley voo fransey, mongsur ? Ha ! ha ! vous voyez que je connais votre langue !  
    Puis, en un aparté que tout le monde pouvait entendre, elle demanda au major :  
    —  Il n’est pas dangereux, au moins ?  
    — Seulement pour les ennemis dans une bataille, Your Ladyship, répondit Hazembat.  
    —  Oh dear ! mais il parle l’anglais ! il comprend ! C’est très bien, mon ami, c’est très bien !  
    Dans l’après-midi, le major envoya Hazembat à Edimbourg pour en ramener le notaire de la famille. Il désirait régler la succession paternelle avant de repartir. La Jenny revint le lendemain matin avec un personnage jovial et grassouillet qui s’enferma aussitôt avec le major. Au bout d’un moment, le major fit entrer Jenny, Miss Rowan et Mac Leod. Lady Dalrymple n’était pas conviée. Elle parut s’en offusquer et partit faire une promenade dans l’île avec sa servante. Puis Griffith