Le Prisonnier de Trafalgar
vint appeler Malcolm, Lorna, Duncan, Williams, Hawkins, les Murdoch et enfin Hazembat.
Quand tout le monde fut réuni dans le petit salon, le notaire parcourut l’assistance d’un air satisfait.
— Bien, dit-il, tous les ayants droit sont présents. Je vais vous lire le testament que Sir John Dalrymple avait déposé en mon étude en date du 20 février 1809.
Le major héritait de son père l’essentiel de la succession, mais Lady Jenny se voyait attribuer une somme de cinquante mille livres « afin, lut le notaire, qu’elle ait une indépendance suffisante pour lui permettre d’épouser le mari de son choix ». Miss Rowan bénéficiait d’une pension à vie de cinq cents livres par an. Tous les serviteurs recevaient des gratifications variant entre deux cents et cinq cents livres. A Mac Leod, Sir John léguait douze caisses d’un porto de trente ans d’âge. Le notaire marqua une pause, puis reprit :
— Enfin, à Bernard Hazembat, le plus brave des matelots, je lègue, pour l’aider dans ses navigations futures, un chronomètre de précision fabriqué par l’horloger Earnshaw et un octant ayant appartenu à mon père, Lord Stair, ancien vice-amiral d’Ecosse et général des marines.
Le chronomètre était d’argent guilloché. Mac Leod tira son oignon de sa poche-gousset.
— C’est Sir John lui-même qui l’a mis à l’heure. Depuis un mois que je le remonte régulièrement, il n’a pas varié de vingt secondes ! Après une traversée de l’Atlantique, tu auras ta longitude à cinq milles près !
Quant à l’octant, contenu dans un petit étui d’acajou incrusté de nacre, c’était un véritable objet d’art, démontable en trois parties, avec un grand et un petit miroir.
— Maintenant, dit Mac Leod, on fabrique des sextants, mais avec cet instrument tu mesureras tout aussi bien la latitude. Tu sais t’en servir ?
— Je crois. J’ai souvent vu les officiers faire le point. A midi, ils relevèrent la hauteur du soleil.
— Cinquante-six degrés, cinq minutes, annonça Hazembat.
— C’est bien la latitude de Bass Rock. Maintenant, tu ne risques plus de te perdre sur l’océan.
Pourtant, Hazembat se sentait perdu. Quand la première joie des nouveaux jouets fut passée, il mesura son désarroi après la disparition de Sir John qui était comme la clef de voûte de son petit monde. Il voyait plus rarement Jenny, accaparée par Lady Dalrymple. Quand elle arrivait à s’échapper, il n’était plus question de promenades en mer ou de longues conversations sur le pont. Elle s’efforçait de parler de choses et d’autres, mais de temps en temps son grand chagrin remontait à ses yeux clairs et elle pleurait contre l’épaule d’Hazembat. L’épreuve l’avait mûrie. Elle parlait de son avenir avec plus d’assurance.
— Ma tante n’aime pas Bass Rock. Un jour ou l’autre, elle s’en ira et il faudra que je la suive, mais, avec l’argent que m’a laissé Uncle John, je ne me laisserai pas faire. Vous m’aiderez, Hazy ?
— Si je le puis, Jenny, je vous le promets.
Il y avait maintenant beaucoup de monde à Bass Rock et on vivait un peu entassés, mais la frontière entre le quartier des maîtres et celui des serviteurs s’était faite plus rigide. Désœuvré, Hazembat accompagnait parfois les Murdoch dans leur barque de pêche. D’autres fois, il prêtait la main à Williams qui taillait dans le granit une pierre tombale pour Sir John, aidé du jeune Charlie. Ce dernier, agréable et beau parleur, avait fait la conquête de Mrs Drumclog et régnait en maître à la cuisine.
Il avait jeté son dévolu sur Conchita, la petite servante de Lady Dalrymple, et, après un siège assez bref, s’était, selon toutes apparences, rendu maître de ses défenses. Conchita était une jolie moricaude de dix-sept ou dix-huit ans, au regard vif et à la langue déliée. Au début, elle sembla attirée par Hazembat à qui elle décochait des œillades sans équivoque. Ayant découvert qu’il parlait espagnol, elle en profitait pour lier conversation avec lui à tout propos.
Normalement, il aurait saisi l’occasion. Plus d’un an s’était écoulé depuis la nuit dans la chambre de Lucy. Il lui arrivait bien, au hasard de ses voyages à Leith, de culbuter des filles du port, mais il n’était pas habitué à une si longue continence. Il la supportait assez bien et s’interrogeait parfois vaguement sur
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