Le Prisonnier de Trafalgar
cette modération de ses appétits. Ce n’était tout de même pas l’âge. Il avait à peine trente-deux ans et il savait que, s’il avait eu Conchita dans son lit, il aurait fait honneur à s a réputation de chaud-du-rein. Mais il aurait fallu prendre l’initiative, affronter la jalousie de Charlie, jouer pour un temps, si bref qu’il fût, la comédie de la cour que toute femme attendait qu’on lui fît. Il n’y avait là rien qui pût l’effrayer ou le rebuter, mais il n’en éprouvait simplement pas l’envie.
Une nuit, il entendit gratter à sa porte. Il ouvrit, croyant voir Conchita. C’était Lucy, les cheveux dénoués, un léger peignoir jeté sur ses épaules. Un instant, ils se regardèrent à la lueur tremblotante de la chandelle, puis elle se jeta à son cou et ils culbutèrent ensemble vers le lit.
La couche était étroite et dure et cela n’avait rien à voir avec les étreintes savamment ordonnées de leur dernière nuit. Ils firent l’amour avec frénésie, jusqu’à rester pantelants tous deux, serrés l’un contre l’autre, membres enlacés.
— Hazy, murmura Lucy, cette nuit, c’est avec toi que j’étais. C’est toi que j’ai aimé.
— Tu ne m’aimes plus ?
— Si. Tu es un homme que les femmes aiment facilement, mais tu ne peux pas les aimer toutes. Je vais m’en aller.
— T’en aller ? Où ?
— A Linlithgow. Je rentre chez moi. Avec ce que m’a laissé Sir John, je peux me refaire une vie.
— Et Jenny ?
— Lady Dalrymple pense qu’elle n’a plus besoin d’institutrice et elle a raison. C’est de toi que Jenny a besoin, mais…
Elle lui posa un baiser sur la joue.
— Mais ?
— Tu te souviens de ce que j’ai dit un jour, que Jenny était en sécurité avec toi, mais que je ne savais pas si tu serais en sécurité avec elle ?
— Où est le danger ?
— Le danger ? C’est que quelque chose est en train de naître entre elle et toi sans que vous vous en rendiez compte. Pour elle, ce n’est jamais qu’un peu de l’émerveillement de Miranda…
— Miranda ?
Elle rit et l’embrassa de nouveau.
— C’est vrai, mon barbare adoré, que tu ne connais pas Shakespeare. C’est un écrivain qui a vécu il y a deux siècles. Dans une pièce de théâtre, il raconte l’histoire d’une jeune fille qui a été élevée par un vieux père dans une île déserte. Et puis, un jour, des naufragés débarquent dans l’île, et elle découvre soudain qu’il y a des hommes dans le vaste monde et qu’on peut les aimer. Jenny est comme cette jeune fille.
— Mais qui aime-t-elle ?
— Elle ne le sait pas encore, mais vous êtes en train de devenir amoureux l’un de l’autre. A elle, cela lui passera, mais toi, tu risques d’en souffrir terriblement. Hazy, mon Hazy, tu as déjà assez souffert. Je ne veux pas que tu souffres encore. Prends garde à Miranda !
CHAPITRE X : STEPHEN
Du côté habité de Bass Rock, d’où l’on ne dominait que l’étroit bras de mer séparant l’île de la côte, on n’apercevait guère que quelques barques de pêche et des caboteurs. Il fallait monter à la falaise sur la face nord pour surplomber le Firth et découvrir l’incessant trafic des navires de commerce et des chalands qui desservaient non seulement Leith, mais tous les ports de l’estuaire. Il était bien rare qu’il n’y eût pas une dizaine de voiles en vue. De temps en temps, c’était un navire de guerre, le plus souvent un lougre ou un sloop, mais parfois une frégate qui, toutes voiles dehors, rangeait le vent d’ouest pour gagner l’arsenal.
Au cours du printemps et de l’été de 1810, c’est là qu’Hazembat prit l’habitude de passer ses moments de loisir près de la cabane du berger Hawkins. Il ne se lassait pas du spectacle et finissait par reconnaître la plupart des navires qu’il avait vus au mouillage à Leith. Quelquefois, Lady Dalrymple l’envoyait à Edimbourg faire des commissions ou porter des messages, mais, le plus souvent, il se contentait de maintenir la Jenny en état.
L’île se vidait. Miss Rowan avait donné le signal dès le début de mars. Il l’avait lui-même emmenée à Linlithgow, en amont de Leith. Jenny était du voyage et, quand elle prit congé de son institutrice, il y avait dans son attitude un curieux mélange de chagrin et de satisfaction. Tandis qu’elle répondait à l’adieu du mouchoir
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