Le prix de l'hérésie

Slythurst, à ma gauche, posait de temps à autre son
couteau pour émettre des commentaires, la bouche pleine, sur le laxisme de la
sécurité qui, assurait-il, avait conduit à la mort de ses deux collègues. Il
ignorait avec superbe le fait que, dans les deux cas, le meurtrier avait
disposé des clés.
    « Il faudrait un véritable gardien à la porte,
affirma-t-il en recrachant des miettes de pain. Cobbett est un vieillard et un
ivrogne, il ne sert à rien. Une troupe en armes pourrait passer devant sa
fenêtre sans qu’il le remarque. Quant à son bâtard au bord de la tombe, le
collège aurait plutôt besoin d’un vrai chien de garde, dressé à repousser les
intrus. Et l’on devrait fermer l’entrée principale en permanence, de sorte que
seuls ceux qui ont les clés puissent aller et venir.
    — Walter, je crois que la présence d’un chien n’est pas
vraiment une urgence, le rabroua sèchement Godwyn en sortant de sa torpeur. Et
c’est une communauté d’enseignants et d’élèves ici, pas une prison. Nous ne
pouvons pas empêcher le monde d’entrer ni nos jeunes gens de sortir.
D’ailleurs, imagine la dépense s’il fallait donner à tous un double de clé de
la porte principale. »
    Ayant dit le fond de sa pensée, il sembla se retirer de
nouveau en lui-même.
    « Maître Slythurst, intervins-je tout en essayant de
découper une tranche de mouton, en tant que trésorier on doit souvent vous
accabler de demandes pour obtenir des doubles, avec toutes les serrures qu’il y
a dans le collège. »
    Slythurst me foudroya du regard, devinant mes sous-entendus,
mais se contint devant les autres.
    « Effectivement. C’est une dépense considérable. Les
gens passent leur temps à les perdre ou à les casser.
    — Et ce devoir vous incombe toujours ou vous chargez
parfois d’autres personnes de se rendre chez le serrurier ? poursuivis-je,
sur le même ton ingénu.
    — C’est une tâche dont je m’occupe moi-même,
répliqua-t-il d’une voix plus cassante. Pour tout ce qui touche à la sécurité
du collège, on ne saurait être trop prudent.
    — Il doit arriver, de temps à autre, qu’il soit
nécessaire de faire des doubles supplémentaires des clés de certaines portes en
prévision de futures pertes ? »
    Slythurst se leva d’un bond et sa chaise faillit partir à la
renverse.
    « Si vous avez quelque chose à me demander, docteur
Bruno, dit-il en laissant éclater sa colère, ayez la courtoisie de parler
franchement. Et faites au moins preuve de discrétion. Ou bien croyez-vous être
une sorte d’inquisiteur ? »
    Il se tourna vers le recteur pour lui montrer à quel point
il était outré puis, passant sans ménagement dans mon dos, il s’en alla à
grands pas, outragé magnifique, sa robe balayant le sol derrière lui. Les
murmures alentour cessèrent tandis que les regards intrigués se tournaient vers
lui. Lorsqu’il eut quitté la salle, les conversations à voix feutrée reprirent
de plus belle.
    « Quelle mouche l’a piqué ? demanda Richard Godwyn
en levant le nez de son assiette.
    — Son désarroi est bien naturel après cette tragique
nouvelle, dis-je.
    — Qui sait ? fit Godwyn en haussant les sourcils.
On ne lit pas toujours dans un homme comme dans un livre ouvert. Walter a
peut-être des remords.
    — Des remords ? répétai-je, les yeux fixés sur mon
assiette pour ne pas dévoiler mon intérêt.
    — James et lui se détestaient, me confia Godwyn à voix
basse. Maintenant que James a souffert une mort si horrible, peut-être Walter
s’en veut-il d’avoir prononcé des paroles qu’il ne pourra plus effacer.
    — Pourquoi se haïssaient-ils ? »
    Godwyn soupira en secouant tristement la tête.
    « C’est un point que je n’ai jamais éclairci. J’ai
l’impression que chacun savait des choses préjudiciables sur l’autre, et que
d’une manière ou d’une autre, ils étaient liés par le secret. Et bien entendu,
pactiser avec un ennemi est toujours dangereux.
    — Est-ce que cela pourrait être en rapport avec les
domaines en métayage ? demandai-je en me souvenant du début de dispute
survenu lors du souper chez le recteur, le soir de mon arrivée, quand Coverdale
avait insinué que le trésorier était impliqué dans les accords entre Underhill
et le comte, accords qui se faisaient au détriment du collège. Le docteur
Coverdale était peut-être au courant de pratiques relevant de la
corruption ? »
    Godwyn posa sur moi ses grands