Le prix de l'hérésie
trahissant mon affection
pour Sophia, je me posais en rival. Thomas lissa sa robe et reprit son chemin
en direction de l’entrée de Lincoln College, les bras croisés sur son maigre
torse.
« Vous n’avez pas la moindre idée de ce dont vous
parlez », finit-il par déclarer en regardant droit devant lui, comme s’il
ne s’adressait pas à moi mais réfléchissait à voix haute.
Puis il se radoucit et sembla vouloir s’excuser. Il serra ma
main dans les siennes.
« Merci de m’avoir écouté, docteur Bruno. Je suis
désolé si j’ai tenu des propos inconsidérés, j’ai toujours peur de dire ce
qu’il ne faut pas. Vous vous souviendrez de ma requête, si ce n’est pas trop
demander ?
— C’est promis, Thomas. Je suis content que nous ayons
parlé.
— Il faut absolument que je quitte Oxford, ajouta-t-il
en pressant ma main. Si je pouvais aller à Londres et recommencer ma vie
là-bas… Vous en parlerez à Sir Philip ? Sa recommandation me faciliterait
les choses, et je serais prêt à jurer fidélité au comte et à lui-même sur ma
vie.
— Je ferai de mon mieux, le rassurai-je, même si je
n’étais pas certain qu’il m’eût dit tout ce qu’il savait. Et soignez cette
blessure à votre poignet. »
Il inclina légèrement la tête en guise de salut et s’en alla
terminer ses corvées.
Il pleuvait des cordes sur le collège, et le ciel
s’assombrissait toujours plus depuis le début de la journée. Je levai les yeux
vers la petite fenêtre au sommet de la tour et frémis en pensant au cadavre
ensanglanté de Coverdale, toujours pendu à son crochet, la poitrine et le
ventre percés de flèches. J’avais visité un jour la basilique
Saint-Sébastien-hors-les-Murs, à Rome, dans les catacombes de laquelle la
dépouille du saint est enterrée. Le grand portrait qui s’y trouve, avec
l’expression de pieuse agonie de Sébastien et les flèches saillant comme les
piquants d’un porc-épic, m’avait frappé alors par l’exagération et le caractère
artificiel des tourments, qui le rendent semblable à quelque scène au décor
surchargé. Je m’aperçus que j’avais eu la même réaction en découvrant le
cadavre de James Coverdale. Le tableau macabre ressemblait par trop à une
farce, j’avais eu du mal à le croire mort avant de voir sa gorge tranchée. Tout
en remontant une nouvelle fois le col de mon pourpoint et en me préparant à
accueillir le déluge, je me souvins tout à coup d’une expression du recteur
citant Foxe : « Par ses propres soldats. » Capitaine de
la garde prétorienne, Sébastien avait été exécuté par ses propres hommes sur
ordre de l’empereur Dioclétien. Le meurtrier avait-il ce détail à
l’esprit ? James Coverdale avait-il lui aussi été tué par quelqu’un censé
être du même côté que lui ? Et de quel côté s’agissait-il en ce lieu où
les loyautés de chacun se manifestaient au travers de détours
insoupçonnables ?
J’étais à peine engagé dans la cour lorsque je vis le
recteur arriver par l’arcade en face, suivi de près par Slythurst. Tous deux
avaient rabattu leur capuche et marchaient à grands pas dans ma direction.
Quand il m’aperçut, le recteur me fit signe de le rejoindre. Une fois à l’abri
dans l’entrée du collège, il nous emmena à l’écart afin que notre conversation
ne soit pas surprise par le petit groupe d’étudiants qui avaient eux aussi
trouvé refuge à cet endroit.
« On me dit que vous avez vu ma fille ce matin dans la
loge du gardien ? s’enquit le recteur.
— Oui… Elle attendait sa mère pour partir, dis-je,
saisi par l’inquiétude perceptible dans sa voix.
— L’avez-vous vue s’en aller ?
— Non. Maître Slythurst est arrivé avec la terrible
nouvelle et je suis allé vous chercher.
— Alors, elle doit… »
En proie à la confusion, Underhill secoua la tête.
« Peu importe. Elle a toujours été frondeuse. Elle
reviendra.
— Que s’est-il passé ?
— Quand ma femme est arrivée, Sophia n’était plus là,
m’expliqua-t-il en surveillant la cour comme s’il espérait la voir apparaître à
tout moment. Margaret a pensé qu’elle était partie devant et elle s’est mise en
route. Mais son amie n’a pas vu Sophia non plus. Margaret est dans tous ses
états, comme de juste, mais je pense que Sophia a décidé d’aller se promener
sans en informer personne. Elle se plaint souvent d’être cloîtrée ici. Elle
pense que je devrais lui
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