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Le prix de l'hérésie

Le prix de l'hérésie

Titel: Le prix de l'hérésie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: S.J. Parris
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j’étais
autrefois dans les ordres, ou que je n’y suis plus, répondis-je d’un ton égal.
    — Ou peut-être pense-t-il à tout à fait autre chose,
repartit Walsingham en me détaillant. Mais nous allons y venir. D’abord,
dites-moi… Que savez-vous de moi, Filippo Bruno ? »
    Je tournai la tête et croisai son regard. J’étais pris au
dépourvu, ce qui était bien son intention. J’avais abandonné mon nom de baptême
en entrant au monastère de San Domenico Maggiore et adopté mon nom monastique
de Giordano. Même s’il m’était arrivé de m’en servir pendant ma fuite,
m’appeler ainsi était une petite astuce destinée à me faire comprendre
l’étendue de ses renseignements. Walsingham était à l’évidence ravi par l’effet
produit. Je repris contenance avant de lui répondre.
    « Assez pour comprendre que seul un idiot essaierait de
dissimuler quoi que ce soit à un homme qui ne m’a jamais vu et qui pourtant
m’appelle par le nom que mes parents m’ont donné. Un nom dont je ne me suis pas
servi depuis vingt ans. »
    Walsingham sourit.
    « Alors vous en savez suffisamment pour l’instant. Et
je ne doute pas de vos qualités. Vous êtes peut-être imprudent, mais pas idiot.
Vous dirai-je maintenant les autres choses que je connais sur vous, docteur
Giordano Bruno de Nola ?
    — Je vous en prie, tant que Votre Honneur me permet de
trier pour lui l’abjecte vérité des rumeurs simplement crapuleuses.
    — Comme il vous plaira, répondit-il d’un air indulgent.
Vous êtes né à Nola, près de Naples, d’un père soldat, et vous êtes entré au
monastère de San Domenico Maggiore encore jeune homme. Vous avez quitté l’ordre
treize ans plus tard et fui à travers l’Italie durant trois ans, poursuivi par
l’Inquisition qui vous soupçonnait d’hérésie. Ensuite, vous avez enseigné à
Genève et en France avant de vous attirer les faveurs du roi Henri III.
Vous enseignez l’art de la mémoire, que beaucoup considèrent comme une sorte de
magie, et vous êtes un ardent partisan de la théorie de Copernic selon laquelle
la Terre tourne autour du Soleil, bien que l’idée ait été déclarée hérétique à
la fois par Rome et par les luthériens. »
    Il me regarda en donnant l’impression de vouloir que je
confirme et je hochai la tête, stupéfait.
    « Vous en savez long, admis-je.
    — Il n’y a pas là de mystère, Bruno, déclara-t-il en
souriant. Quand vous avez fait halte à Padoue, brièvement, vous vous êtes lié
d’amitié avec un noble anglais, Sir Philip Sidney, n’est-ce pas ? Eh bien,
il épousera d’ici peu ma fille, Frances.
    — Votre Honneur n’aurait pas pu tomber sur un gendre
plus recommandable. J’ai hâte de le revoir. »
    Je le pensais sincèrement.
    « Par curiosité, pourquoi avez-vous quitté le
monastère ? me demanda Walsingham.
    — On m’a pris à lire Érasme dans les latrines. »
    Il m’observa un instant, puis rejeta la tête en arrière et
partit d’un grand éclat de rire, profond et riche.
    « Et j’avais d’autres ouvrages mis à l’index. Ils
allaient m’envoyer à l’inquisiteur, je me suis échappé. C’est pour cela que
j’ai été excommunié. »
    Je croisai mes mains dans le dos tout en marchant, et
songeai qu’il était bien étrange de revivre ces jours lointains dans ce
paisible jardin anglais. Mon hôte me regarda avec un air impénétrable, puis
secoua la tête.
    « Vous m’intriguez beaucoup, Bruno. Vous avez fui
l’Italie à cause de l’Inquisition romaine qui vous soupçonnait d’hérésie, et
pourtant vous avez aussi été arrêté et jugé par les calvinistes à Genève pour
vos croyances…
    — Il y a eu comme un malentendu à Genève, répondis-je.
Je me suis aperçu que les calvinistes n’avaient fait qu’échanger un dogme
aveugle pour un autre. »
    Il me regarda avec une sorte de vague admiration et
s’esclaffa de nouveau.
    « Je n’avais encore jamais rencontré d’homme ayant
réussi à se faire accuser d’hérésie par le pape et par les calvinistes.
C’est un exploit singulier, docteur Bruno ! Je me pose donc la
question : quelle est votre religion ? »
    Il y eut un moment de silence et il m’encouragea d’un signe
de tête à lui faire confiance.
    « Votre Honneur sait que je ne suis pas l’ami de Rome.
Je vous assure qu’en tout mon allégeance va à Sa Majesté, et je serais heureux
de lui offrir mes services tant que je demeurerai sous sa

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