Le prix de l'hérésie

Bernard.
    « Non, poursuivit-il, apparemment le docteur Dee
n’était pas le seul à s’intéresser à ce sujet et à vouloir le manuscrit à tout
prix.
    — Alors où est-il maintenant ? demandai-je sans
dissimuler mon agacement. Si vous ne l’avez pas, pourquoi toute cette comédie
et pourquoi me faire venir avec ma bourse ? »
    Mais j’avais à peine prononcé ces mots que l’évidence
m’apparut. Pressentant ce qui allait se passer, je pivotai vers Humphrey.
Malheureusement, ma réaction n’avait pas été assez rapide. M’attrapant par les
poignets, le commis me tordit les bras dans le dos pour m’empêcher de me
débattre. En même temps, Jenkes se jetait sur moi et s’emparait du couteau
attaché à ma ceinture, après quoi, posant la lame contre mon cou, il plongea la
main dans mon pourpoint, d’abord d’un côté puis de l’autre, où il trouva la
bourse de Walsingham. L’ayant extirpée, il la fit tournoyer en l’air en la
soupesant. Bernard se contentait d’observer la scène d’un regard impassible,
les mains croisées derrière le dos.
    « Si vous essayez de crier, je vous égorge comme un
porc avant que le moindre son sorte de votre gorge, me menaça Jenkes en
appuyant sur la lame.
    — Vous me mentez depuis le début, c’est ça ?
demandai-je tout en luttant inutilement contre l’étau des bras de Humphrey.
Cette histoire à propos du livre ?
    — Oh, non ! protesta Jenkes d’un air blessé. Tout
cela est vrai, Bruno, jusque dans le moindre détail. Dee s’est fait voler le
livre par quelqu’un qui devait savoir qu’il l’avait en sa possession. Mais
celui qui l’a attaqué n’était pas à mon service, et je ne crois pas que Dee ait
jamais découvert son identité, ni ses raisons. Quoi qu’il en soit, ça ne me
concerne plus. Donc non, je ne vous ai pas menti, docteur Bruno. Mais je ne
pense pas que vous puissiez en dire autant.
    — Je ne vois pas de quoi vous parlez. »
    La lame entailla la peau de mon cou et je paniquai.
    « Qu’est-ce qui vous fait croire que je vous ai
menti ?
    — Où avez-vous eu cet argent ? me demanda-t-il en
levant la bourse et en la balançant devant mes yeux, toute trace de sa
politesse onctueuse évanouie. Comment un philosophe en exil arrive-t-il à
Oxford avec une bourse aussi pleine, je me le demande. Qui vous paie ?
    — Le roi Henri de France m’a attribué une
pension », affirmai-je.
    Pour mettre un terme à mes gesticulations, Humphrey resserra
son emprise et je finis par me rendre compte que je ne parviendrais qu’à me
disloquer l’épaule si je persistais dans cette voie. Je cessai de me débattre
et me laissai porter en soutenant le regard de Jenkes.
    « Je voyage sous sa protection, insistai-je. N’importe
qui vous le confirmera.
    — Vous voyagez avec Philip Sidney, qui a l’appui de son
oncle Robert Dudley, comte de Leicester et amant d’Elisabeth la putain. Et
l’intérêt de Dudley, comme de tous ceux qui siègent au Conseil privé, est de se
débarrasser de tous les hommes qui à Oxford restent fidèles au pape. Il vous a
chargé de les dénicher, comme un cochon flaire les truffes, c’est
cela ? »
    Il s’approcha de moi et leva le bras, m’obligeant à rejeter
la tête aussi loin que possible en arrière pour empêcher le couteau de me
trancher la gorge.
    « Je ne sais rien des intérêts du comte, je ne l’ai
jamais rencontré ! m’écriai-je en ressentant une soudaine douleur sur le
côté du cou.
    — Vous êtes un habile dissimulateur, Bruno. Je ne
m’attendais pas à moins. Il faut être un homme exceptionnel pour tenir
l’Inquisition en échec durant sept ans. Mais vous ne me trompez pas. Vous êtes
un hérétique et vous cherchez à vous enrichir et à vous venger de l’Église
catholique en trahissant ceux qui ont gardé la foi que vous avez rejetée.
    — Vous n’avez aucune raison de penser une chose
pareille ! protestai-je, alarmé par la lueur féroce que je décelais dans
ses yeux. Sur quelles bases m’accusez-vous ?
    — Sur quelles bases ? répéta-t-il avec un petit
rire cassant. En dehors de votre intimité avec Philip Sidney et de l’argent que
vous employez à soudoyer vos informateurs, vous voulez dire ?
Expliquez-moi l’intérêt que vous portez aux meurtres de Lincoln College.
Qu’est-ce qui vous pousse à rechercher l’assassin avec tant de diligence ?
    — Quels informateurs ? »
    Sans le vouloir, je fis un mouvement vers l’avant et
Humphrey