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Le prix de l'hérésie

Le prix de l'hérésie

Titel: Le prix de l'hérésie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: S.J. Parris
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peur. Je me demandai combien j’en
reconnaîtrais à visage découvert, de ces hommes qui se glissaient à travers la
ville endormie, à la faveur des ténèbres, pour vivre leur foi secrète et
interdite. Même si je ne la partageais plus, j’admirais leur courage ;
après tout, n’avais-je pas moi aussi risqué ma vie autrefois en reniant les
croyances que les autorités m’avaient imposées ? Et en un sens, n’était-ce
pas ce que je continuais à faire ? À cet instant, alors que je balayais du
regard la petite congrégation de quatorze âmes, je fus saisi par l’énormité de
la tâche qui m’incombait. J’étais le loup déguisé en agneau, celui qui enfile
le même habit et prononce les mêmes mots, mais nichée sous mon bras droit je
sentais peser la bourse de Walsingham. Cet argent, il me l’avait donné pour
dénoncer ces rebelles restés fidèles à leurs convictions et pour les condamner
au cachot, voire à la mort. Walsingham avait beau jeu de parler de façon
abstraite de la menace contre le royaume, mais cette petite messe relevait-elle
vraiment de la haute trahison ? Quant à moi, j’avais du mal à croire que
l’un ou l’autre des individus réunis là pour célébrer un rite qu’on leur
interdisait sous peine de mort complotait l’assassinat de la reine ou
renseignait les Français. Leurs croyances étaient-elles une raison suffisante
pour les livrer à la justice expéditive du Conseil privé, et pouvais-je le
justifier devant ma propre conscience ? Je me souvenais de la terreur de
Thomas Allen à l’idée des méthodes d’interrogatoire employées par les ministres
de la reine contre ceux qu’ils accusaient de déloyauté. Je me sentis soudain
horriblement vulnérable, comme si mes intentions étaient transparentes pour
ceux qui m’entouraient ; à cet instant précis, un bras s’enroula autour de
ma taille. Je levai la tête et croisai le regard bleu limpide de Rowland
Jenkes. Il me toisa et hocha la tête. Puis un sourire joua sur ses lèvres et il
me libéra en repartant vers la porte par laquelle il venait d’entrer un instant
auparavant.
    Chacun retint sa respiration et le silence se fit. La porte
s’ouvrit et, pour la première fois depuis des années, la vieille magie de la
messe opéra sur moi. Je sentis un frisson me parcourir la nuque. Ces gens parmi
lesquels je me trouvais croyaient vraiment être en présence d’un mystère saint,
ils y croyaient avec toute la pureté de leur foi, une pureté que j’avais
oubliée depuis longtemps et qu’un homme comme Walsingham ne pouvait espérer
comprendre. C’était la foi en ce miracle qui les faisait revenir, en dépit de
toutes les menaces de mort, ils maintenaient cette flamme vivante en manière de
défi et leur honnêteté avait quelque chose d’un peu humiliant.
    Le prêtre qui entra portait un vêtement blanc qui lui
descendait jusqu’aux pieds, semblable à une aube, ainsi qu’une capuche masquant
son visage et une étole verte pendue au cou. Il s’avança d’une démarche digne
et solennelle, les yeux baissés mais le port altier, tenant à bout de bras le
calice couvert de son voile. Devant l’autel, il fit une profonde révérence et
je compris alors que ce n’était pas un jeune homme, car ce geste lui demandait
des efforts. Cependant, je ne pus réprimer un petit cri de surprise lorsqu’il
se releva et qu’il rabattit sa capuche en arrière : le prêtre avait pour
nom William Bernard.
    Il posa avec révérence le calice à gauche de l’autel. Puis,
après l’avoir ôté de sa bourse de velours vert, il déplia le corporal qu’il
étala au centre de l’autel avant d’y placer le calice. L’acolyte qui
l’accompagnait s’agitait avec nervosité ; il ne devait pas avoir plus de
dix-neuf ans, un étudiant, supposai-je, et il jetait sans cesse de petits coups
d’œil inquiets autour de lui. Debout à côté de Bernard, le visage à découvert
au milieu des hommes en capuche, il devait se sentir aussi nu qu’Adam.
    Nous tournant le dos, Bernard se signa.
    «  In nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti.
Amen. »
    L’atmosphère était lourde. Tous, nous nous sentions au bord
de l’abîme, les nerfs tendus à cause du danger que nous courions à participer à
ce rite. Tous, oui, même moi qui y étais pourtant étranger. Chaque bruit
familier, le hululement d’une chouette, le craquement d’une poutre, provoquait
dans l’assemblée un remous, une invisible vague de peur qui nous

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