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Le prix de l'hérésie

Le prix de l'hérésie

Titel: Le prix de l'hérésie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: S.J. Parris
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emportait et
nous suspendait un instant avant que le soulagement nous autorise à expirer.
    «  Introibo ad altare Dei  », prononça
Bernard d’une voix autoritaire et tranquille.
    Une rafale de vent s’engouffra subitement par les
contrevents, gonflant les rideaux noirs aux fenêtres et faisant pencher
violemment les flammes des cierges. L’acolyte tourna la tête, aussi paniqué que
si quelqu’un avait fait irruption, mais Bernard, imperturbable, poursuivit. Il
accomplissait la cérémonie, l’âme imprégnée de chaque geste et de chaque mot.
    Il n’y avait pas de musique. La congrégation répondait à
mi-voix, comme si quelqu’un avait pu écouter à la porte. Nous nous
agenouillâmes comme un seul homme alors que la messe progressait selon la
liturgie, et je me souvins une nouvelle fois, avec un soupçon de nostalgie, à
quel point ces mots et ces gestes avaient façonné ma propre vie pendant des
années. Aujourd’hui, alors que je les répétais consciencieusement, ils ne
vivaient plus en moi. Bernard prit l’hostie dans une petite patène en argent
et, après l’avoir brandie et avoir bu au calice, il se tourna pour faire face à
la congrégation.
    «  Ecce Agnus Dei, ecce qui tollit peccata mundi  »,
entonna-t-il.
    En relevant la tête, je m’aperçus que ses yeux perçants
étaient posés sur moi. Ma gorge se serra. Voyait-il sous mon déguisement,
jusqu’aux recoins les plus secrets de mon âme ? Au cas où je me serais
mépris sur son regard, Jenkes me prit par le bras. Je compris son
avertissement : bien que je fusse admis parmi les fidèles, Bernard et lui
n’oubliaient pas que j’étais excommunié. Il ne fallait pas que je compte
communier avec les autres. Ils n’avaient rien à craindre sur ce point, je ne
l’avais pas fait depuis ma fuite du monastère, à cause de quelques vestiges de
respect ou de superstition, ou des deux. Et quand la petite congrégation se
jeta à genoux, bouche avidement ouverte comme une nichée d’oisillons affamés,
je me tins en retrait contre le mur du fond, de peur que ma non-participation
me désigne clairement comme un espion ; après tout, c’était le cœur du
rite et s’en abstenir éveillerait forcément les soupçons. À moins que Jenkes ne
les ait déjà prévenus, car mon attitude ne suscita que quelques coups d’œil
furtifs. Je réintégrai le groupe en marmonnant «  Deo gratias  »
en réponse au «  Benedicamus Domino  » de Bernard.
    La messe prononcée, la tension se dissipa et les hommes se
pressèrent de se disperser. Tandis qu’ils sortaient à la file, je restai à ma
place près de la porte et tentai autant qu’il m’était possible de distinguer
les visages sous les capuches, en baissant les yeux quand on me rendait mon
regard. Les longs doigts de Jenkes s’enroulèrent autour de mon poignet pour me
signaler de ne pas m’en aller. L’un des derniers à partir, un petit homme qui
gardait les mains sous son manteau à la façon des moines, s’arrêta devant moi
et me fit face. Au même instant, une nouvelle bourrasque fit vaciller les
flammes des cierges, me révélant son visage : c’était Adam, le domestique
du recteur, qui me dévisageait avec une incrédulité comparable à la mienne. Il
hésita un instant, parut sur le point de me dire quelque chose, mais un regard
appuyé de Jenkes le convainquit de suivre les autres.
    Enfin je restai seul avec Jenkes et ce grand et solide
gaillard de Pritchard, qui se mit en devoir de ranger la pièce et d’enlever
tout ce qui pouvait évoquer la cérémonie, à l’exception des cierges, ou ce
qu’il en restait. Jenkes m’étudia un moment.
    « Maintenant, les affaires, dit-il doucement. Je vous
en prie, mettez-vous à l’aise, enlevez votre manteau. Nous sommes entre amis.
Avez-vous apporté votre bourse, docteur Bruno ?
    — Avez-vous apporté le livre, maître
Jenkes ? » dis-je en rabattant ma capuche.
    Sur son visage ravagé, un sourire s’épanouit lentement.
    « Le livre… Avant tout, dites-moi combien vous êtes
prêt à payer pour ce manuscrit.
    — Il faudrait que je le voie d’abord, répondis-je
calmement. Combien en demandez-vous ?
    — C’est une question difficile, Bruno. La valeur d’un
objet, quel qu’il soit, repose entièrement sur le désir qu’on en a, n’est-ce
pas ? Ce livre, par exemple. Je n’ai rencontré qu’un homme qui le voulait
autant que vous et il m’a proposé beaucoup d’argent. Plus, peut-être, que

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