Le prix de l'hérésie
n’essaie de se l’approprier.
« Cette fois vous vous expliquerez, Bruno. »
La colère avait remplacé la froideur sarcastique qui le
caractérisait d’ordinaire. La coïncidence était trop énorme : pour qu’il
fût réveillé et habillé à cette heure de la nuit, c’est qu’il surveillait la
chambre de Norris. Il essaya de s’emparer des lettres mais je ne le laissai pas
faire.
« Qu’avez-vous pris dans cette chambre ?
Montrez-moi ça, m’ordonna-t-il d’une voix impérieuse. J’exige que vous me le
donniez. »
Depuis qu’il avait vu le paquet, il se comportait comme un
possédé. Connaissait-il l’importance de ce que j’avais récupéré ?
« Exigez tout ce que vous voulez, rétorquai-je en le
repoussant de mon bras bandé, je ne vous donnerai rien.
— Je… j’appartiens à l’administration de cette
université, bafouilla Slythurst en essayant de garder sa dignité. Vous devez
vous soumettre à mon autorité. Si vous avez pris quelque chose dans la chambre
d’un élève, le recteur doit être tenu au courant. »
Sa voix était stridente. Il fit une nouvelle tentative pour
me soustraire le paquet mais je me dérobai. Je ne pouvais permettre que ces
lettres tombent entre les mains du recteur.
Slythurst et Underhill étaient tout à fait capables de
détruire des preuves susceptibles de nuire au collège, me disais-je, d’autant
que la découverte que je venais de faire dans la chambre de Norris, si elle
était rendue publique, pouvait provoquer la perte du recteur. Le trésorier me
dévisagea un moment, la bouche pincée, puis il posa sa lanterne à terre et se
jeta sur moi les mains en avant. Il avait une force surprenante pour un homme
aussi mince et il faillit me faire tomber, mais je réussis à reculer légèrement
et à lui asséner un grand coup de pied qui le cueillit à l’estomac. Le souffle
coupé, il se plia en deux. Sans lui laisser le temps de récupérer, je lui
donnai un violent coup de poing de ma main bandée. La douleur fusa
instantanément dans mon bras. Touché au menton, il chancela, se reprit à une
vitesse étonnante, se lança en travers de mes jambes. Je tombai sur le dos
contre les pavés. Je tenais toujours les lettres serrées contre ma poitrine
mais il avait l’avantage du poids et s’assit à califourchon sur moi pour me
clouer au sol. Collant son visage au mien, il prit les documents à pleines
mains. Je craignais qu’il ne les déchire dans sa tentative pour me les arracher
et une soudaine bouffée de colère me fit redoubler d’efforts pour les
conserver.
« Donnez-moi ça, Bruno ! Vous vous mêlez
d’affaires auxquelles vous ne comprenez rien, grogna-t-il en me soufflant son
haleine rance en pleine figure.
— Vous ne savez même pas de quoi il s’agit,
répliquai-je en m’agrippant aux lettres comme un forcené.
— Quoi que vous ayez subtilisé à un élève, la propriété
en revient au collège. »
Même en pleine bagarre, il restait pompeux.
« Pourquoi le voulez-vous si désespérément ? lui
demandai-je. Parce que vous n’avez pas réussi à le trouver quand vous avez
fouillé la chambre ? Vous profitez toujours du sommeil de Cobbett pour
emprunter des clés ?
— La question, Bruno, c’est comment vous avez su
ce que vous cherchiez et où le chercher. Et la seule réponse possible, c’est
que vous faites partie de la conspiration des papistes. Mais à quoi d’autre
devrait-on s’attendre de la part d’un Italien ? Vous avez peut-être abusé
le recteur, mais je vois clair en vous.
— Vous perdez la tête, fulminai-je à mon tour en me
tortillant pour lui faire perdre l’équilibre. Je n’ai rien d’un papiste et ceux
qui comptent le savent.
— Vous me donnerez ces papiers, Bruno, rugit-il, ou je
réveillerai tout le collège. Et comme trois d’entre nous sont morts récemment,
vous irez croupir au fond d’un cachot avant d’avoir eu l’occasion de nous
régaler avec un de vos contes improbables. »
Ainsi Slythurst était contre les papistes, me dis-je
au moment où il m’enfonçait son genou dans les côtes. Dans ce cas, pourquoi
était-il si pressé de dissimuler les meurtres ? Pourquoi était-il prêt à
se battre pour ce paquet de lettres après avoir fouillé de fond en comble la
chambre de Mercer, puis celle de Norris ? Quel que soit son but, ces
papiers devaient coûte que coûte parvenir à Walsingham en personne, et pour
cela il fallait les remettre en main propre à
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