Le prix de l'hérésie
la ville.
L’enceinte était bien trop haute et à pic pour que je l’escalade et les autres
portes seraient elles aussi gardées à cette heure. Les seules possibilités, en
dehors de celles-là, étaient d’attendre l’aube quand les portes s’ouvriraient
pour les marchands, mais Jenkes ou Humphrey m’auraient rattrapé d’ici là, ou
bien de persuader les gardes à qui j’avais déjà eu affaire de me laisser
entrer. Je frappai du plat de ma main valide sur la porte pratiquée dans les immenses
battants en chêne du portail, mais n’obtins pas de réponse. Je tambourinai plus
fort, appelai à grands cris, et pour finir une tête aux yeux bouffis apparut
derrière un grillage. Le verrou grinça et la porte s’ouvrit devant moi.
Je marmonnai des remerciements en guettant alentour, à
l’affût du moindre mouvement dans l’obscurité. À peine étais-je sorti du champ
de vision du gardien que je pressai le pas jusqu’à St Mildred Lane en serrant
dans ma main le couteau de Humphrey. Jamais je n’avais été aussi content de
voir la tour de Lincoln College se dresser devant moi. Je frappai doucement à
la fenêtre de Cobbett. Après une pause, je recommençai.
« Cobbett ! l’appelai-je doucement. C’est moi,
Bruno. Ouvrez la porte ! »
Seul le silence me répondit. Me hissant des deux mains sur
le rebord, je jetai un coup d’œil à l’intérieur et vis le vieux gardien assoupi
dans son fauteuil, le menton calé contre la poitrine et la bouche ouverte, un
filet de bave coulant de sa lèvre inférieure.
« Cobbett ! » répétai-je en frappant trois
coups secs.
Il ne bougea pas. Après l’avoir couvert d’injures en mon for
intérieur, je reculai et levai la tête pour observer la façade. Toutes les
fenêtres étaient plongées dans le noir et je me demandai si je devais risquer
de réveiller quelqu’un en criant plus fort. Je ne voulais pas rester dans la
rue devant le collège, l’un des premiers endroits où Jenkes me chercherait.
Alors, tandis que les nuages dérivaient et que la lune dispensait sa lumière
nacrée, je songeai à un dernier moyen. Ne restait plus qu’à espérer que j’aie
raison. La fenêtre à l’extrémité du bâtiment ouest était celle de la chambre de
Norris. Elle semblait fermée mais, en la poussant, je m’aperçus que ce n’était
pas le cas. Aussi loin que portait ma vue, la ruelle était vide dans les deux
directions. J’enjambai le rebord en prenant appui sur le cadre de la fenêtre.
Dans la manœuvre, j’éraflai mon avant-bras brûlé. La douleur me fit
tressaillir, mais je parvins à me retenir de crier.
Priant pour qu’aucun des deux occupants de la chambre ne
soit revenu au cours de la soirée, je me laissai tomber à l’intérieur et
atterris maladroitement sur un grand coffre. Je m’arrêtai un instant et tendis
l’oreille pour vérifier si quelqu’un respirait ou bougeait dans la pièce d’à
côté, mais le silence témoignait sans l’ombre d’un doute que les lieux étaient
vides. Le clair de lune qui pénétrait par la fenêtre de la cour soulignait les
contours des meubles. Le sol était parsemé de débris et, après avoir farfouillé
un moment à tâtons sur les buffets et les tables, je mis la main sur une boîte
d’amadou. Je le frottai et allumai une bougie : la chambre était livrée au
chaos, exactement comme celle de Roger Mercer le matin de sa mort. On avait
répandu le contenu de la garde-robe par terre, éparpillé livres et papiers, et
tous les tiroirs de la belle table d’écriture de Norris avaient été ouverts et
vidés. Je me laissai choir dans le fauteuil près de la cheminée. Ses coussins
avaient été jetés près de l’âtre où les cendres avaient depuis longtemps refroidi.
Pour la première fois depuis des heures, je pris le temps de respirer calmement
et de rassembler mes pensées dispersées. Mes épaules me faisaient
continuellement souffrir, les brûlures de mon bras me donnaient l’impression
d’avoir la chair à vif et la balafre sur mon cou, quoique peu profonde, ne se
laissait pas non plus oublier. Néanmoins, dans l’immédiat, j’étais hors de
danger et je pouvais réfléchir avec plus de clarté. Non pas que tout péril fût
définitivement écarté, bien sûr ; Jenkes avait déjà décidé que j’en savais
trop pour rester en vie et quand mon évasion lui serait connue il se lancerait
presque à coup sûr à mes trousses pour m’empêcher de parler. Au cas où il me
mettrait
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